Les grands enjeux de société et les idées qui en font la trame, avec humour, passion et gravité.
26 Septembre 2014
"Les actions parlent plus fort que les paroles."
Dicton
« Il s’agit plutôt de réfléchir à ce que signifie, aujourd’hui, former des êtres humains autonomes capables de pensée critique et donc d’avoir une préhension sur la vie collective et sur l’héritage culturel qui leur est transmis. Il s’agit de prendre conscience de ce qu’il nous faut opposer au dévoiement marchand de l’éducation, à la fascination de nos dirigeants pour les formes de l’administration managériale et technocratique, à la captation de la créativité et de l
’imagination par les seules forces productives. Il s’agit de chercher comment faire de l’éducation un vecteur d’humanité et d’humanisation du monde et non un instrument de dressage au profit d’un quelconque pouvoir, qu’il soit économique, politique ou religieux. »
- Extrait d'Emiliano Arpin-Simonetti, « Pour une éducation émancipatrice ».
Pour lire le texte en entier : c'est ici.
Et l’article de terminer ainsi : « Dès lors, il convient de se poser la question : une éducation émancipatrice, capable de donner une chance égale à tous de s’épanouir en tant qu’être humain selon ses inclinations personnelles et de prendre part à la vie collective à ce titre, est-elle envisageable dans une société capitaliste? »
Comme la discussion est criante par son absence, malgré toute l’énergie et les arguments déployés chez les théoriciens de tous genres pour prouver le contraire, comme dans cette revue (sauf sans doute dans les cercles organisés, entre étudiants et professeurs), je conclurai à mon tour par une citation de Jacques Julliard paraphrasant Simone Weil : « Or Marx, et à plus forte raison ses héritiers léninistes, n’ont rien changé au système productif en place ; souvent même, ils l’ont aggravé. Il y a chez eux, une véritable “religion des forces productives”, qui permet de conclure que le socialisme réalisé n’est qu’un des avatars possibles du système capitaliste. »
Jusque dans les institutions les plus sérieuses, qu’elles soient religieuses, politiques, universitaires, scientifiques ou humanitaire. C’est à croire que sans le mensonge celles-ci ne pourraient survivre. Il constitue la pierre angulaire de notre culture, occidentale en l’occurrence. Ou de son âme, comme on dit aujourd’hui, ce qui est déjà un détournement de sens. L’histoire du passé d’une nation est un exemple on ne peut plus parfait : les enseignants ont chaque fois tronqué la réalité, jusqu’à aujourd’hui. La magie, c’est que les étudiants, avec la complicité des parents et de toute la société, s’imaginent échapper à cette vicieuse pratique soi-disant anti démocratique. Ils écrivent même des livres à ce propos.
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Voici à présent quelques exemples de ce mensonge devenu la norme partout acceptable. Je commence par la religion qui nous montre la lune en plein jour.
À ce propos, l’Ancien Testament raconte comment cela a débuté chez les tout premiers hommes. Cette littérature religieuse juive, que l’on prend de par le monde pour référence de la plus haute signification spirituelle, de la conduite originelle des hommes et des femmes, est très explicite à ce sujet. J’en veux pour preuve Rebecca, la femme d’Isaac. Elle envoya son fils Jacob proférer un mensonge grotesque à son père, vieux et aveugle, au dépend de son jumeau, Éssaü. Ils montèrent un stratagème pour usurper l’héritage légitime de ce dernier.
Je résume l’histoire. Isaac était le fils d’Abraham, le patriarche. Sa femme, qui était stérile, pria Dieu pour être enceinte, et il l’exauça : elle eut des jumeaux qui « se heurtaient dans son ventre ». L’Éternel lui dit alors : « Deux nations sont dans ton ventre. Un de ces peuples sera plus fort que l’autre et le plus grand sera assujetti au plus petit. » Cela ne promettait rien de bon avec des augures pareils en partant. Quand elle accoucha, « Le premier, Éssaü, sortit entièrement roux, comme un manteau de poil » et fut suivi immédiatement par Jacob.
« Les enfants grandirent. Éssaü devint un habile chasseur, un homme des champs ; mais Jacob fut un homme tranquille qui restait sous les tentes. Isaac aimait Éssaü, parce qu’il mangeait du gibier ; et Rebecca aimait Jacob. » Un jour qu’Éssaü revenait des champs, fatigué, il trouva son frère en train de cuisiner. Il lui demanda : « Laisse-moi manger de ce roux, de ce roux-là. » Jacob dit : -D’accord, mais vends-moi ton droit d’aînesse. Éssaü n’hésite pas et le lui promit. Mais ce n’était pas suffisant, son frère s’exclama : « Jure-le-moi d’abord. »
Isaac devenait vieux, et ses yeux s'étaient affaiblis au point qu'il ne voyait plus. Alors il appela Ésaü, son fils aîné, et lui dit : -Mon fils, je te prie, prends tes armes, ton carquois et ton arc, va dans les champs, et chasse-moi du gibier. Fais-moi un mets comme j'aime, et apporte-le-moi à manger, afin que mon âme te bénisse avant que je meure. »
Rebecca entendit la conversation et la répéta à son fils. Puis elle lui dit : Maintenant, mon fils, écoute mes instructions. Va me prendre au troupeau deux bons chevreaux ; j'en ferai pour ton père un mets comme il aime et tu le lui porteras à manger afin qu'il te bénisse avant sa mort.
- Comment est-ce possible, répondit-il, mon frère est velu, et je n'ai point de poil. Peut-être mon père me touchera-t-il, et je passerai à ses yeux pour un menteur. Je ferai venir sur moi la malédiction, et non la bénédiction.
Sa mère lui dit de ne pas s’en faire : Que cette malédiction, mon fils, retombe sur moi ! Écoute-moi et va me les prendre.
Quand il revint elle cuisina et prit les vêtements d'Ésaü qui se trouvaient à la maison, et elle les fit mettre à Jacob. Elle couvrit ses mains et son cou qui étaient sans poil de la peau des chevreaux. Et elle plaça dans la main de Jacob le mets et le pain qu'elle avait préparés. Il alla vers son père qui demanda : Qui es-tu, mon fils ?
- Je suis Ésaü, ton fils aîné ; j'ai fait ce que tu m'as dit. Lève-toi, je te prie, assieds-toi, et mange de mon gibier, afin que ton âme me bénisse.
Isaac dit à son fils : Eh quoi, tu en as déjà trouvé !
Et Jacob répondit : C'est que l'Éternel, ton Dieu, l'a fait venir devant moi.
- Approche donc, dit son père, que je te touche, pour savoir si tu es mon fils Ésaü, ou non.
Jacob s'approcha d'Isaac, son père, qui le toucha, et dit : La voix est la voix de Jacob, mais les mains sont les mains d'Ésaü. Il ne le reconnut pas, parce que ses mains étaient velues, comme les mains d'Ésaü, son frère ; et il le bénit : C'est toi qui es mon fils Ésaü ?
Et Jacob répondit : C'est moi.
Son père dit : Sers-moi et que je mange du gibier de mon fils, afin que mon âme te bénisse. Jacob le servit, et il mangea ; il lui apporta aussi du vin, et il but.
Alors Isaac, son père, lui dit : Approche donc, et baise-moi, mon fils.
Jacob s'approcha et le baisa. Isaac sentit l'odeur de ses vêtements ; puis il le bénit et dit : Voici, l'odeur de mon fils est comme l'odeur d'un champ que l'Éternel a béni. Que Dieu te donne de la rosée du ciel et de la graisse de la terre, du blé et du vin en abondance ! Que des peuples te soient soumis et que des nations se prosternent devant toi ! Sois le maître de tes frères et que les fils de ta mère se prosternent devant toi ! Maudit soit quiconque te maudira, Et béni soit quiconque te bénira.
À peine Jacob avait quitté son père, que son frère revint de la chasse. Il cuisina aussi un mets qu'il lui porta : Que mon père se lève et mange du gibier afin que son âme me bénisse ! Celui-ci lui répondit : Qui es-tu ?
- Je suis ton fils aîné, Ésaü.
Alors Isaac fut saisi d'une grande et violente émotion et il dit : Qui est donc celui qui a chassé du gibier, et me l'a apporté ? J'ai mangé de tout avant que tu vinsses, et je l'ai béni. Aussi sera-t-il béni.
Lorsque Ésaü entendit les paroles, il poussa de forts cris, pleins d'amertume, et il lui dit : Bénis-moi aussi, mon père !
- C’est trop tard mon fils, ton frère est venu avec ruse et il m'a soutiré ta bénédiction.
Ainsi soit-il !
* À la recherche sur le Web d’une peinture biblique illustrant ma critique d’un passage de la Genèse, publiée plus haut, et concernant le mensonge perpétré par Rebecca et son fils chéri, à l’insu du vieil homme aveugle, un peu sénile, qu’était ce chef de famille et fameux patriarche des juifs, j’ai trouvé cette explication commentant la scène. Est-ce la raison kantienne ou l’esprit religieux qui s’exprime ici ?« Dans le monde moderne, nous admirons l’honnêteté et l’intégrité. Les actions de Rebecca et Jacob nous semblent plus que sournoises. Mais dans les temps anciens, ce duo d’intrigants en train d’escroquer le chef de famille était admiré. Tromperie et ruse étaient bien vues, parce que le monde était dangereux et imprévisible, par conséquent les gens avaient besoin d’user de tous les stratagèmes possibles pour survivre. Rebecca pouvait peut-être détester ce qu’elle avait à faire -mais c’était nécessaire, compte tenu de l’impétueuse stupidité qui affligeait son autre jumeau, Ésaü, et l’effet à long terme que cela aurait produit sur la tribu. »
Je lui ai écrit pour lui apprendre que dans le monde ancien, à lire le Mahabharata par exemple, on s’aperçoit que « l’honnêteté et l’intégrité » étaient admirées autant que « dans le monde moderne » -et beaucoup plus encore !
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Quelqu’un qui me connaît depuis longtemps m’a écrit pour me dire qu’il « manque la partie (juste au-dessus du tableau) dans le corps du texte, ou Ésaü cède son droit d'aînesse à Jacob. »
Merci de le signaler, lui ai-je répondu. Je l'ai édité ainsi intentionnellement (d'ailleurs j'avais rédigé le passage puis je l'ai effacé). Je voulais surtout me concentrer sur le mensonge, pour ne pas surcharger le récit, qui est déjà assez lourd : "Laisse-moi, je te prie, manger de ce roux, de ce roux-là, car je suis fatigué", demande Éssaü à son frère. On dirait un dessin animé tiré d'une BD. Cet épisode, en effet, illustre un autre cas de manque d'amour, d'abus et de tromperie entre les jumeaux. La Bible en est remplie. Et puis, c'est bien primitif comme contexte et culture. Je ne comprends pas comment on peut prendre ces textes pour références morale et historique sur l’origine de l’humanité, sur le Monde et Dieu...
- Il ne dit pas que cela, me répond-elle. Il cède son droit d'aînesse de lui-même pour un plat de lentilles. On peut se demander à juste titre si cet homme était capable de régner sur un peuple ?
- Peut-être parce que la Bible regroupent les plus anciens écrits de l'humanité ! » C’est tout ce qu’elle a trouvé comme réponse. Pourtant, cela fait plus de dix ans que j’écris sur ce site fréquenté par des écrivains. Pourtant, même dans ce texte je mentionne le Mahabharata. Cela ne lui a pas titillé les neurones moindrement. J’ai jeté l’éponge.
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