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Le blog de Maroudiji

Les grands enjeux de société et les idées qui en font la trame, avec humour, passion et gravité.

la mémoire

Sur le Mahabharata et la puissance de la mémoire

« Il y aurait bien d’autres questions à poser. Par exemple, un poème aussi vaste, peut-il appartenir à la littérature orale, ou faut-il y voir la première œuvre écrite que nous ayons de ce que la culture post-védique a produite jusque-là, malgré tout ce qu’elle laisse dans l’ombre et la confusion ? […] Aujourd’hui, certains spécialistes pensent qu’il est matériellement impossible d’y voir une composition orale à cause de ses dimensions. Nous savons cependant quelles bibliothèques transportent encore avec eux dans leur mémoire les brahmanas éduqués selon les méthodes traditionnelles. Il est vrai que ces méthodes tendent à disparaître, mais nous en avons eu assez de témoins pour croire qu’il devait y avoir une possibilité de concevoir une œuvre à cette échelle. »

À noter par ailleurs que les brahmanas d’antan, en l’occurrence ceux dont il est question dans ce passage, tels que Vyasa, ou même des kshatriyas à l’instar de Bhisma ou Yudhistir, et de leurs semblables, ne mémorisaient pas uniquement le Mahabharata, mais aussi quantité d’œuvres védiques magistrales, incontournables pour la maîtrise des débats, qui sont nombreux, ou la divulgation de l’enseignement. L’écriture ne vient qu’après coup.

* P.748 vol. II, in Mahabharata

Est-il possible pour les humains de se mémoriser en même temps les Védas, les Upanishad, le Mahabharata, les Puranas, etc. ? N'est-il pas admis que c'est ainsi que les brahmanas, avant l'écriture, apprenaient et diffusaient le savoir ? Et à quel point était-ce efficace ? Ce sont là des questions à se poser lorsqu'on étudie les civilisations anciennes et leur développement.

 

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Je me souviens, la mémoire

Science & Vie, un hors-série sur La mémoire, ses secrets, ses troubles.

« Comment s’assurer qu’une information traversera les millénaires sans s’effacer et pourra être lu ? Que l’humanité en gardera la mémoire intacte quoi qu’il arrive ? Telle est la question que s’est posée un comité scientifique…»

Je lis cela dans Science & Vie, un hors-série sur La mémoire, ses secrets, ses troubles. Cent trente cinq pages qui traitent de la mémoire sous tous ses aspects sauf de …

Comme dit un proverbe africain : si tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens.

Eux, les rédacteurs, ne se sont pas posé la question, d’où ils viennent, car la réponse, dans leurs cas, n’est pas pertinente : les hommes préhistoriques ou leurs ancêtres du néolithique étaient quasi ignorants et sauvages. A-t-on vraiment envie de les avoir pour fondateurs de notre lignée ? Ailleurs, comme en Inde, c’est différent. Encore aujourd’hui, les hindous sont fiers de leur passé et le rappellent souvent à la mémoire. Vous comprenez alors que certains peuples désirent vider la mémoire des souvenirs gênants et même d’aller plus loin : développer une croyance qui soutienne qu’elle ait impérativement besoin d’être triée des rebuts et des résidus qui la polluent ou alourdissent son fonctionnement. Selon les rédacteurs, nous serions ainsi plus légers pour vivre le présent et mieux préparer pour entrer dans le futur…

 

 

 

Dans Sciences Humaines, c’est de la même eau. On nous apprend que « La mémoire est notre faculté la plus précieuse. Sans elle, pas d’apprentissage, pas d’imaginaire, pas d’identité. Sans mémoire nous ne sommes rien. »

Si on suit leur raisonnement, ou leur science, autrefois, dans les brumes de la préhistoire, les hommes n’étaient rien. Rien, dans le sens qu’ils n’étaient pas évolués comme nous le sommes. Toutes les chemises blanches en cravates qui enseignent et soufflent le chaud et le froid sur la culture et les sciences, vous diront que nous sommes la fleur de l’évolution. Ils vous citent Darwin, fièrement. Et ils en rajoutent, pour marquer au fer rouge la brebis galeuse : « Ceux qui ne pensent pas comme nous sont des arriérés ! Ils ne comprennent rien aux sciences et sont un poids dans le développement de la civilisation. Ils freinent l’évolution de l’homme. Ils sont les ennemis de la pensée unique. »

« Une science de la mémoire est en train de voir le jour, passionnante. » C’est écrit noir sur blanc. « Et c’est là que les sciences humaines ont leur mot à dire. (…) Elles nous invitent à réfléchir à la juste place à accorder au passé dans nos vies personnelles. » Il faut comprendre par là qu’auparavant il n’y avait pas de science de la mémoire. On a oublié pourquoi Giordano Bruno a été brûlé. L’a-t-on jamais su ? Pourtant il y a un article de Rémi Sussan qui commence ainsi : « Comment et jusqu’où peut-on augmenter sa mémoire ? Dans l’Antiquité et à la Renaissance, le fameux "art de la mémoire", dans lequel on projetait sur un lieu imaginaire des symboles de ce que l’on souhaitait mémoriser, a connu un grand succès. » Voilà la vraie histoire : on a brûlé G. Bruno car son excellente méthode pour mémoriser utilisait les astres. L’Église haïssait tout ce qui faisait écho à l’art païen de l’astrologie.

Aujourd’hui, j’imagine qu’elle doit être ravie par les tablettes électroniques qui permettent d’emmagasiner des tonnes de données. Il suffit d’entendre des chrétiens philosophes tels que Michel Serres pour s’en convaincre.

 

La science, je le dis souvent, a remplacé l'autorité religieuse, ce faisant elle utilise la même méthodologie pour assoir ses idées. La religion avait fait tabula rasa sur les croyances qui l'avait précédé et la science, à son tour, chasse tout ce qui ne cadre pas avec sa vision des choses. Dans son système, elle n'a pas de place, même inférieure, pour ce qui ne participe pas de la même démarche qu'elle. À l’instar des religions monothéistes qui ne toléraient pas d'autres versions de l'histoire, d'autres manières de croire ou d'envisager la vie, la science lamine tout ce qui ne s'écarte pas de son passage. Tout comme autrefois, le religieux seul dominait sur l'Europe, la science, aujourd'hui, domine sur les consciences. Partout elle est brandie comme le fer de lance du progrès. Et qui veut être contre le progrès ?!

 

En quoi donc consiste cette « juste place » ? À l’Éternel recommencement nietzschéen ? Non, par lui encore… À quel passé fait-on allusion alors ? À celui des Grecs ou des Romains, dans le meilleur des cas. Disons, mais ce n’est pas ce discours que j’ai connu. C’est l’Homme nouveau qui avait la cote, il exsudait à l’appel du communisme et de la science : l’espérance reposait dans le futur. C’était une tradition que l’on se transmettait de génération en génération. Nous n’avions pas de quoi être fier de notre passé.

« À quoi sert d’oublier ? Mémoire et oubli sont indissociables : c’est en sélectionnant des souvenirs, donc en oubliant certains d’entres eux, que nous construisons notre identité. » Science Humaines.

Soit. Mais pourquoi oublier ce qu’a produit l’une des plus grandes civilisations : les Védas et le Mahabharata ? Je lis des choses pareilles et je n’en reviens pas ! J’ai l’impression de ne pas vivre sur la même planète. Et tout le monde trouve ces inepties de la plus haute intelligence !? Dans ces deux magazines, qui ont décidé de nous instruire sur la mémoire, aucun ne mentionne que les anciens étaient intelligents. Très intelligents, faut-il souligner. Et qu’ils possédaient une incroyable mémoire. Les deux vont ensemble. À aucun moment ces magazines ne nous ont invités à réfléchir sur ces hommes qui transmettaient des quantités prodigieuses de connaissances alors que l’écriture n’existait pas encore. Peut-être n’en avait-il pas besoin, de l’écriture… Mais cela on ne le sait pas, car pas un mot nous a été écrit sur la mémoire des anciens…

chèvre art akilesJe vais le faire pour ceux qui me lisent, je vais l’écrire, des fois que ça leur apporte des lumières… Mais j’avoue, face à Science & Vie ou Sciences Humaines, je ne pèse pas lourd. ( Et c’est quelqu’un, il n’y a pas longtemps, qui me reprochait de ne pas apprécier l’humour, et encore moins de la pratiquer, que j’étais trop grave ! Moi qui m’efforce de ne pas faire le clown.)

Vous savez, entre parenthèses, qu’il y a une histoire quant à la valeur du Mahabharata par rapport aux autres Védas ? Il était question de le mesurer et ils ont mis le Mahabharata sur un côté d’une balance et placèrent jusqu’aux quatre Védas de l’autre, et ils ne purent lever le Mahabharata. Formidable non ? Il y a toutes les raisons pour s’en réjouir mais ce n’est pas ainsi, malheureusement, que beaucoup de gens le ressentent. Le Mahabharata les indispose, bizarrement.

Cette œuvre a existé avant d’être écrite, elle était transmise oralement. Ceux qui transmettaient, en outre, connaissaient sur le bout des doigts, une bonne partie des Védas et autres littératures, telles les Puranas. Ce qui est considérable. Le Mahabharata était composé de 90 000 à 120 000 strophes en sanskrit. Sanskrit veut dire parfait, c’est-à-dire qui suit toutes les règles de la grammaire telles qu’elles étaient enseignées par les maîtres. Ces maîtres avaient vécu, pour la plupart, bien longtemps avant, très longtemps. (C’est beaucoup plus tard que le fameux grammairien Panini fixera définitivement le sanskrit, tel que nous le connaissons.) L’essentiel de l’épopée, si on le transposait en prose, ferait 10 000 pages. Cela correspondrait à huit fois L’Iliade et l’Odyssée réunies ou trois fois et demi la Bible ! Et en plus, il y a un appendice, le Harivarman, ou la généalogie de Hari, Hari étant un autre nom de Krishna. Dans cette longue partie, la naissance et l’enfance de Krishna y sont décrites.

C’est de l’anthropologie. En lisant tout cela, je sais comment des gens vivaient et pensaient il y a des milliers d’années. Et puisque les humains ne forment qu’une seule espèce, je me réjouis de mon passé. Surtout que j’ai un penchant pour un tel exotisme.

Avez-vous jamais essayé d’apprendre des règles de grammaire ou de faire de la poésie mentalement ? Le Mahabharata a été écrit en vers. Avec la pensée, les brahmanas ont calculé et écrit les plus belles sciences et rendu tout cela sous forme d’art pour la jouissance des grands comme des petits. L’écriture, n’est-elle pas le plus estimé et le plus noble des arts ? Pensez-vous sérieusement que l’on puisse étudier un sujet, en l’occurrence la mémoire, sans se pencher sur ce qui permettait aux anciens de pouvoir réfléchir et créer des œuvres consistantes sans l’aide des livres ? Si un jour vous voulez vraiment faire de la philosophie ou de la science humaine, alors méditez sur ce problème. FIN


Lire aussi

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Hiérogliphes et la mémoire selon Giordano Bruno

« De tels écritures, de tels langages, servaient aux Égyptiens à entrer en conversation avec les dieux pour l’accomplissement d’effets merveilleux. Après que les lettres eurent été inventées par Theuth (lui ou un autre), ces lettres que nous utilisons aujourd’hui dans un tout autre genre d’activité, il s’ensuivit une très grande perdition pour la mémoire, la science divine et la magie. »
Dans De la magie, de Giordano Bruno

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La mémoire en perte de vitesse

Ce que l’on constate à lire ces ouvrages sur la mémoire et son évolution durant l’histoire, c’est que le moyen pour la conserver, puisqu’elle repose de toute évidence sur des mécanismes cérébraux complexes et variés, deviendra de plus en plus technique et non plus spirituel, dans le sens prosaïque de ce terme. Vers le XVIII siècle, si je ne m'abuse, ce procédé prendra le nom de mnémotechnie, raison oblige. Descartes en donnera le ton. Il se moque de ces méthodes hermético-cabalistiques de mystique qui s’apparentent à de la magie et les considère oiseuses et compliquées pour pas grand-chose, en définitif. Derrière ce fatras métaphysique, il y a l’idée qu’un art de la mémoire permettrait aux âmes de s’unir à l’Âme divine. Descartes se fout donc carrément de la mémoire et n’en parle pratiquement pas dans ses œuvres. Ainsi il s’oppose à ses prédécesseurs et détrône la mémoire au profit de l’intelligence qui, elle, joue une carte maîtresse chez la personne; la raison est suffisante et plus efficace. 

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Pour en venir à mon intention en publiant cette coupure de journal, je dirais que les objets chez Platon, telle que nous les présente l'expérience, sont des illusions, alors que pour Aristote ce sont des réalités. On pourrait dire, grossièrement, que d'un côté il y a les spiritualistes et de l'autre, les matérialistes.

22 Août 2012

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L'apprenti sorcier

Quelqu'un viendra-t-il prévenir ces scientifiques, qui manipulent les structures de notre monde, que la Terre est en passe de devenir un lieu aussi infernal que celui décrit par les Écritures pour les pécheurs ?

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La mémoire: Ramanuja et l'écriture

La mémoire: Ramanuja et l'écriture

 

(1077–1157) Ramanuja est dorénavant un leader spirituel notoire. Comme il a l'intention de reproduire une œuvre unique pour sa prédication, un commentaire du Brahma-sutra du grand Vyasa, il se rend dans les montagnes du Cachemire, en compagnie de ses disciples, pour en faire l’acquisition.

Vous pensez bien qu'on n'allait pas lui donner un manuscrit aussi rare simplement parce qu'il le demandait! Devant le refus, il s'adressa alors à la plus haute instance de la province, le roi.

 

Il écouta attentivement ses desiderata et statua que le manuscrit devait lui être confié pour la divulgation du savoir. On s'en sépara donc à contrecœur mais sur le chemin du retour pour Srirangam, le groupe fut attaqué et se fit voler le précieux ouvrage.

 

Tout est bien qui finit bien, grâce à un don naturel, la mémoire

 

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