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Le blog de Maroudiji

Les grands enjeux de société et les idées qui en font la trame, avec humour, passion et gravité.

​ ​Le bien et le mal dans la littérature védique

Mes respects à tous les chercheurs de vérité et de sens.

Les ancêtres assuraient que les lois de l'univers étaient impénétrables. Les scientifiques ont démontré toutefois la possibilité d'en deviner les ressorts et de les travailler pour en tirer profit. Ils affirmaient aussi, les ancêtres, que la vie est un mystère insondable dont nous sommes les pantins, le destin étant invincible et implacable. Là aussi la médecine a réagi positivement à ce déterminisme ; des progrès époustouflants ont été accomplis; les enfants ne meurent plus en masse à leur naissance, ni les mamans en couches.

Néanmoins, les choses ne sont pas aussi certaines, car on ne sait toujours rien fondamentalement de l'univers,* ni de l'origine de la vie. Science et philosophie peuvent éclairer nos illusions et les ténèbres inhérents à la nature humaine seulement si nous prenons à cœur la sagesse et les enseignements des anciens, transmission que nous avons délaissée ou méprisée. Pour se faire, nous devons intégrer la pertinence idéologique de l'antiquité à celle de la modernité. Cette dernière, contrairement à ce qui est affirmé urbi et orbi, ne peut se développer sainement sans continuité apaisée avec le passé.

Il est un handicap que de ne pas savoir discriminer entre mythe et histoire, légende et fait, d'autant plus si la mauvaise foi est institutionnalisée et que "le mensonge devient la plus grande force qui mène le monde".**

Tout comme pour l’univers et la médecine beaucoup d'encre a coulé à ce sujet au point que les débats sont devenus circulaires, redondants et dénués de sensibilité artistique. Je propose par conséquent un récit passionnant que rapporte un écrit d'antan, le Bhagavatam Purana, sur la nature du bien et du mal, personnifiée par le combat des dieux avec les démons. Il est nécessaire pour voir les ficelles que tire l'auteur de le recevoir avec une bienveillance attentive, car il s'agit d’un paradigme étranger lointain à nos valeurs.

* Je reprends ce constat à Étienne Klein qui le répète souvent à son auditoire.
** C'est par cette phrase que Jean-François Revel débute son livre "La connaissance inutile".

Accuser Dieu pour ses malheurs, Srimad-Bhagavatam

Un beau matin, alors que rien ne présageait le drame, Maharaj Chitraketu, roi de la Terre et respecté jusque chez les dieux, trouva son fils mort dans la couchette. Frappé d'affliction, la souffrance à son comble, lui, le plus intelligent et le plus puissant des hommes gémit ainsi: "Hélas, trois fois hélas! Ô Providence, ô Créateur, comment une telle incurie a-t-elle pu prendre place dans un gouvernement céleste au point que le dirigeant laisse mourir le fils chéri d'un père alors qu'il est encore vivant, n'est-ce pas là un manque flagrant de jugement ?! Ne voyez-vous pas que cette tragédie n'a rien de bon et va à l'encontre des lois que vous, Dieu, avez énoncées, instaurées et promues? Revenez sur votre erreur et rendez-moi mon enfant ! Si vous vous obstinez dans l’errance et ne corrigez pas la situation, ne vous étonnez pas d'être perçu à l'instar d’un tyran pour les hommes. Comment pourra-t-on alors continuer à vous honorer en tant que Bonté personnifiée ?

Vous pouvez bien répondre qu'aucune loi ne prévoit qu’un père meure du vivant de son fils, puisque celui-ci naît durant l'existence de son père; chacun vit et meurt selon ses actes. Mais, si c'est le cas, si tout dépend du karma, si les activités passées sont si déterminantes qu'elles imposent leurs règles sur le cours des naissances et des morts, il n'y a donc point besoin d'Agent contrôleur, ou d'un Dieu, la nature s'en charge d'elle-même. C'est tout.

Et puis, encore une fois, si vous dites que la présence d'un Maître de l'univers est essentielle parce que la matière ne possède pas de volonté indépendante, ni le pouvoir d'agir par elle-même, je vous demande alors, étant donné que les liens d'affection que vous avez concoctés entre les membres d'une famille sont mis à mal par le karma (les activités du passé), qui élevera ses enfants avec dévouement, avec amour? Je vous le dis, ils seront laissés à eux-mêmes dès qu'ils deviendront un fardeau pour les parents. Cette manière de conduire les affaires de l'univers est inconséquente. Elle sape les fondements de la famille au lieu d'encourager et de gratifier les parents à élever leurs enfants. Elle vous discrédite, en fin de compte. À mes yeux, vous manquez cruellement d'expérience et d'intelligence.

Désespéré, le ventre serré, le roi se tourna vers son fils et s'exclama: "mon enfant, vois mon impuissance et le malheur qui me terrasse en dépit d'être le roi de la Terre! Je t'en conjure, ne me quitte pas... Regarde l'état dans lequel je suis. Qu'allons-nous devenir ta mère et moi sans toi. Un fils est une bénédiction, car il assurre par ses offrandes annuelles aux ancêtres (pitris) la garantie que nous n'irons pas souffrir en enfer, sur ces planètes dans les régions les plus sombres de l'univers. Mon fils, à part toi, personne ne peut offrir la shraddha; ce rite est le devoir d'un fils et sa raison d'être. Écoute ton père, ne te laisse pas convaincre par cet impitoyable dieu de la mort, Yama. Ne le suis pas et reste avec moi !"

Ainsi se lamentait Chitraketu, roi de la Terre, en proie à une illusion sévère. Il était pourtant si puissant que les dévas l'admiraient pour ses hauts faits et sa dévotion au Seigneur suprême. Mais voilà qu'il blasphémait maintenant, parce que Dieu le contrariait... 

Il se coucha à côté de son fils et perdit conscience du monde qui l'entourait.

Ce drama se déroula il y a des centaines de milliers d'années, dans l'âge d'or qu'était le satya-yuga. Beaucoup plus tard, Vyasa se fit un devoir de composer le récit sous forme d'une création littéraire qu'il intitula le Bhagavad-Purana, traduire: "Le plus grand des Puranas".

Le même Vyasa, écrivain par excellence, entreprit de révolutionner la transmission du savoir. Alors qu'elle se pratiquait jusqu'ici oralement, elle passera à présent par l'écriture, la marche inéluctable du temps rendant le procédé mnémonique traditionnel inefficace. La kali-yuga pointait son nez.

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