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Le blog de Maroudiji

Les grands enjeux de société et les idées qui en font la trame, avec humour, passion et gravité.

Le Dieu de la Bhagavad-gita versus celui de Hegel

Je veux voir Dieu, avec Hegel et la Bhagavad-gita

Arjuna reprit la parole* : « Ainsi existe-t-il des dévots qui s’abandonnent à toi parce qu’ils ont trouvé l’unité pour toujours alors que d’autres méditent sur l’absolu non manifesté. Quels sont ceux qui connaissent vraiment la voie de l’ascèse ? »

En réponse, le Bienheureux déclara : « À mes yeux, ceux qui sont allés le plus loin dans cette voie sont les ascètes qui absorbent leur esprit en moi, qui on définitivement trouvé l’unité et me vénèrent, habités d’une foi infinie. »

...

Désolé, je vais reprendre cette introduction qui ne me satisfait pas. Car en retranscrivant la version de Marc Ballanfat, je réalise la confusion qu’elle peut générer dans l’esprit du lecteur. Ballanfat ne prend pas en compte la situation personnelle, pourtant Incontournable, de la relation entre Arjuna et le Bienheureux, c.à.d. Krishna, qui est posé comme le Dieu suprême dans la Bhagavad-gita. Je reproduis par conséquent la traduction de Bhaktivedanta Swami Prabhupada, bien plus fidèle à cet esprit et qui rend le texte plus compréhensible.

Arjuna dit : De celui qui ainsi t'adore, par le service de dévotion, et de celui qui voue son culte au Brahman impersonnel, au non-manifesté: lequel des deux est le plus parfait?

Le Seigneur Bienheureux dit: Celui qui attache sur ma forme personnelle son mental, et toujours s'engage dans mon adoration, plein d'une foi spirituelle ardente, celui-là, je le tiens pour le plus parfait.

* Chapitre II-1et 2.

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Moïse et Dieu sur la montagne oû Dieu lui parla, sans le voir.

Extrait de la Bible : « Le son de la trompette retentissait de plus en plus fortement. Moïse parlait, et Dieu lui répondait à haute voix. Ainsi l’Éternel descendit sur la montagne de Sinaï; de là, du sommet, l’Éternel appela Moïse. Et Moïse monta. » Exode 19.

« Là où il se tenait, écrit Hegel, il se tenait devant Dieu. » (La philosophie de l'histoire)

Et il continue ainsi : « On concède l’existence objective de Dieu, mais on nie la possibilité que Dieu ait pu être perçu par des sens humains. [...] et, dans le cas présent, on nie tout particulièrement la présence sensible de Dieu. »

Il est impossible, écrit Hegel -et qui ne lui donnerait pas raison?- de voir Dieu avec les sens humains. En d’autres mots, les humains ne peuvent pas voir Dieu. Il y a donc apparente contradiction entre la Bible et la Bhagavad-gita. Mais apparente seulement car la Gita dit exactement la même chose, mais d’un point de vue plus méthodique; elle donne des explications raisonnables et détaillées quant à la nature de Dieu et la relation que peut entretenir le dévot avec lui, notamment à travers le yoga.

« Mais tu ne peux me voir avec les yeux qui sont tiens, dit Krishna à Arjuna; je te confère donc les yeux divins par quoi tu pourras contempler mes inconcevables pouvoirs.

Sanjaya dit : O roi, à ces mots, Dieu, la Personne Suprême, maître de tous les pouvoirs surnaturels, montre à Arjuna sa forme universelle. » (Ch. XI- 8 et 9)

À rappeler que le roi Dhritarastra est aveugle. C’est le devoir de Sanjaya de lui raconter l’évolution des événements sur le champ de bataille. Si vous avez suivi le récit, vous savez maintenant que Sanjaya a reçu le pouvoir magique de voir directement et personnellement tout ce qui s’y déroule -pouvoir qu’obtiennent les yogis s’ils le recherchent- et ainsi informer son maître. Il a reçu ce don de Vyasa, l’auteur de la Bhagavad-gita.

Parenthèse refermée, tous les grands maîtres et pères des religions s’accordent pour confirmer l’impossibilité des sens à appréhender Dieu, personne n’échappe à cette loi, même le plus puissant des hommes. Par contre (cette précision car la faute est souvent commise), il est impossible de conclure à partir de cet axiome que Dieu ne peut être vu…

Pourquoi ? Parce qu'il va de soi que personne n’est en mesure de déterminer ce que Dieu peut ou ne peut faire. Il y a une nuance de taille : par exemple il est clairement signifié dans la Bhagavad-gita, comme nous venons juste de le noter, que si Dieu le désire, il peut permettre à un être ou à plusieurs de le voir. N’est-ce pas logique si Dieu est Dieu et qu’il a par définition tous les pouvoirs ? Se découvrir et se montrer, il le peut alors aisément.

Voici un énoncé de la Isa Upanishad à ce propos :

« D’un masque d’or est couverte la face de la Vérité. Enlève-le pour nous, Pûshan* pour que nous puissions voir Celui qui règne sur la Vérité ! »

 

 

 

 

 

Tiré de la traduction de Jean Varenne, Sept Upanishads. (Points)
* Un nom de Dieu.

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Je veux voir Dieu

Quelles sont donc ces lois ? La Bible donne par exemple, dans les tables de la loi, dix commandements, dont « Tu ne tueras pas ». Présentée ainsi, cette loi est imprécise et non contraignante, car on tue durant les guerres ou des animaux sur les autels et dans les abattoirs depuis toujours, au nom même de la religion.

Dans le Coran, révélation divine, la loi oblige les dévots à ne pas manger certaines viandes, le porc entre autres. Il les met également en garde contre la violence faite aux femmes, et en aucun cas le croyant ne peut épouser une débauchée ou une idolâtre, et vice versa. L’adoration des images est strictement interdite.

« Les principes, abstraits par définition, a-t-il écrit,
n’acquièrent leur vérité que dans leur développement. »

Les lois chrétiennes et musulmanes sont inspirées de l’Ancien Testament. Seuls hommes et Dieu lui-même sont habilités à condamner les transgresseurs. Il n’y a nulle notion de karma, telle une intelligence dans l’Univers qui prend acte des comportements responsables puisque l’être humain, dans ces religions monothéistes, ne vit qu’une fois. Chez les hindous, les conséquences des mauvais actes se répercutent dans les vies suivantes, l’âme étant éternelle, elle doit reprendre un nouveau corps, à cause de ses péchés.

 

Je veux voir Dieu, avec Hegel et la Bhagavad-gita

 

Dans la Bhagavad-gita, Arjuna dit : « Ô Krishna, si, aveuglés par la convoitise, ces hommes ne voient aucun mal à détruire leur famille, nulle faute à se quereller avec leurs amis, pourquoi nous, qui voyons le péché, devrions-nous agir de même?

La destruction d'une famille entraîne l'effondrement des traditions éternelles; ses derniers représentants sombrent alors dans l'irréligion.

Lorsque l'impiété règne dans une famille les femmes se corrompent et de leur dégradation naît une progéniture indésirable.

L'accroissement du nombre de ces indésirables engendre pour la famille, et pour ceux qui en ont détruit les traditions, une vie d'enfer. Les ancêtres sont oubliés, on cesse de leur offrir les oblations d'eau et de nourriture.

Ceux qui, par leurs actes irresponsables, brisent la tradition du lignage, ceux-là provoquent l'abandon des principes grâce auxquels prospérité et harmonie règnent au sein de la famille et de la nation.

Je le tiens de source autorisée, ô Krsna: ceux qui détruisent les traditions familiales vivent à jamais en enfer. » (Ch. II, 37 à 43)

L’enfer signifie prendre un corps animal et non seulement vivre en un lieu de souffrance.

 

Fake News

Donald Trump aurait vu Dieu...
Barack Obama aurait vu Dieu...

Si Donald Trump ou Barak Obama annonçaient avoir vécu un événement extraordinaire durant leur dernière nuit, prétendant avoir vu Dieu et qu’il leur aurait parlé, qui croiriez-vous ? Ne vous y trompez pas, les adulateurs de Trump se fieront à sa parole plutôt qu’à celle d’Obama. Il en va de même pour les fans inconditionnels de l’ancien Président. D’autres encore, qui ne sont ni pour l’un ni pour l’autre mais qui ont un peu de jugeote, seront d’avis qu’Obama est plus crédible que Trump. Dans ce scénario à deux sous, je ne prends pas en compte les athées; eux martèlent confusément ne croire en rien, en tout cas pas à ce genre de superstition.

Confusément, parce qu’ils ne comprennent pas et vous pouvez leur expliquer jusqu’à épuisement de la volonté que la croyance est un phénomène universel et naturel chez l’homme, ce serait en vain. J’en veux pour preuve les bouddhistes mais plus spécifiquement cette nouvelle religion athée qui nous vient des États-Unis (ce n’est pas une fausse nouvelle, malheureusement) : « Un ancien ingénieur de Google a créé une religion où l’Intelligence Artificielle est adorée comme Dieu. Le but "moral", selon leurs propres statuts constitutifs, serait de contribuer à l’amélioration de la société en adorant une divinité habilitée par l’Intelligence Artificielle. Techniquement, cette religion n’est pas encore officielle aux États-Unis. Mais ce n’est définitivement qu’une question de temps avant qu’elle ne débouche sur un nouveau chapitre de l’histoire des religions du monde. »* En tout cas, les membres affluent en grand nombre dans la secte, d’après le commentateur à la radio ce matin.

Je veux voir Dieu, livres

Vous, cependant, qui avez la tête sur les épaules, que pensez-vous de ces déclarations provenant d’hommes parmi les plus importants au monde ? Vous me répondrez à coup sûr que si Obama a vu Dieu, qu’il fournisse des preuves, ce qui va de soi. Mais que vous croyez ou non à son existence, vous seriez tout de même intrigué par le contenu de l’expérience, vu sa précédente position d’homme le plus puissant du monde et, assurément, parmi les Présidents américains, un des meilleurs que ce pays ait connu, sinon le meilleur, doté d’une intelligence hors du commun.

Il faut cependant savoir raison garder, car selon le dicton tout défaut qui plaît au Sultan est une qualité. L’irrationnel est plus présent dans nos vies qu’on ne se l’imagine. Hegel nous enseigne à étudier la preuve au lieu de pelleter dans les nuages, peu importe l’autorité qui l’avance :

« Les principes, abstraits par définition,
n’acquièrent leur vérité que dans leur développement. »

La logique, l’histoire, l’expérience, les écrits, les sages sont des garde-fous qui nous permettent de rester les pieds sur terre et de juger à leur juste valeur ces expériences mystiques. Sont-elles purement subjectives et intangibles, donc impossibles à reproduire ou à vérifier, même théoriquement, ou sont-elles accessibles à la raison et à leur exploitation scientifique ? (Je n’utilise pas ce vocable, scientifique, dans un sens technologique comme il est d’usage, la science étant beaucoup plus que cette conception prosaïque.)

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À propos de l'âme

Prenez le cas de B. avec lequel j’échangeais sur un forum à propos de son intime relation avec l’âme et dont il nous dit savoir qu’elle évolue dans une direction seulement, en grandissant, c’est dire qu’elle ne régresse pas, précise-t-il. Comme je pense le contraire de par mes études, je le questionne pour en savoir plus sur la source de son savoir, s’il peut recouper cette réalisation avec d’autres témoignages puisque la croyance en l’âme date d’aussi longtemps que l’homme existe. Très vite je m’aperçois qu’il s’agit d’une simple cogitation, d’un sentiment sans rapport avec la réalité, dans le sens qu’il n’a aucune référence pratique à nous fournir pour objectiver son intuition. Voici la partie de l’échange :

- Qu'est-ce qui te fait dire qu'une âme ne peut pas régresser?
B. : J'ai simplement dit qu'une âme peut temporairement se charger de choses négatives (stress, névrose, honte, culpabilité...) mais qu'elle pourra ensuite s'en remettre si les conditions redeviennent favorables, même s'il faudra parfois qu'elle fasse un grand nettoyage, voire parfois payer pour des actes nuisibles qu'elle aurait commis, etc. Si tu veux, elle aura en effet régressé temporairement, mais au final elle ne redeviendra jamais comme avant, car elle aura tiré les "enseignements" de ce qu'elle a vécu, et donc il ne s'agit pas d'une vraie régression.

Il ne me révélera à aucun moment d’où il tire cette théorie, ni même ce qu’est l’âme. Je donne cet exemple car les gens fonctionnent toujours plus ou moins ainsi, étrangement, malgré tous les progrès dialectiques en science et en philosophie. Est-ce que Moïse a vu Dieu ? Est-ce que le Prophète Mohamed a entendu le Coran des lèvres d’Allah ? Non, et pourtant, on pense, on écrit, on glose et l’on prêche comme si cela c’était produit ainsi, comme si Dieu s’était présenté à eux en personne. On détourne le sens des mots en toute légitimité et l’on crée des sectes de croyants. Avec le temps, la violence et les intrigues, ces groupes sont devenus les plus Grandes Religions du monde.

«Et beaucoup de ceux qui sont endormis
dans le sol de poussière
se réveilleront pour la vie éternelle.
Quand la trompette sonnera,
et les morts ressusciteront incorruptibles,
nous serons changés. »
La Bible

Bible: la résurrection des corps et non la réincarnation ou la métempsycose

En passant, dire que l’âme progresse et ne régresse pas, ce n’est pas ce que l’on appelle la réincarnation telle que la conçoivent les hindous, qui est en fait la conception originelle de l’évolution de l’âme, ou de l’âme tout court, mais c'est la métempsycose, une réadaptation par les Grecs de cette croyance, eux qui n’avaient pas à l’origine de vision de l’âme spirituelle, distincte du corps. La première référence à l’âme éternelle, et, partant, de la réincarnation, leur vient de Pythagore. Tous les gens un peu cultivés devraient savoir que Pythagore détient ces informations d’ailleurs que la Grèce. Vous devinez d’où…

Dieu, est-il une personne ?

------------Caitanya adorant Krishna
Sri Caitanya adorant Krishna

J’ai souligné en personne parce que l’iconographie chrétienne montre souvent leur Dieu dans une forme humaine (et chez les musulmans ce même Dieu s’exprime à travers la parole). Étrangement, il n’est jamais question dans leur quête spirituelle, leur méditation, leur ouverture d’esprit, leurs discussions ou travaux littéraires du Dieu des hindous, Krishna, qui, lui, pour le coup, s’exprime et se comporte comme un humain, ce qu’il n’est pas, bien évidemment, et les écritures n’ont de cesse de le rappeler.

Krishna : « Je demeure non né, et mon corps, spirituel et absolu, ne se détériore jamais; je suis le Seigneur de tous les êtres. Et pourtant, en ma forme originelle, je descends dans cet univers. » Bg. IV-6

Chez eux, il n’y a pas un iota de curiosité pour cette suprême divinité pourtant toujours si populaire depuis 5000 ans. Même lorsqu’ils font preuve d’intérêt pour les religions ou la spiritualité hindoue, chrétiens, musulmans et juifs éviteront de concert de mentionner le Dieu leur plus important, Krishna. Et cette identité est sans aucune ambivalence puisque Krishna le rappelle clairement à Arjuna et qu’un nombre indéterminé de sages l’ont corroborée.

Arjuna dit : Tu es le Brahman suprême, l'ultime demeure, le purificateur souverain, la vérité absolue et l'éternelle personne divine. Tu es Dieu, l'être primordial, originel et absolu.
Tu es le non-né, la beauté qui tout pénètre. Tous les grands sages le proclament, Narada, Asita, Devala, Vyasa; et toi-même à présent me le révèles.
-12-13

Ce faisant, ils évacuent toute la complexité et la richesse des spiritualités qui nous proviennent des Védas, des plus riches, des plus intelligentes et des plus anciennes au monde. Y aurait-il conspiration ou est-ce de la bêtise pure et simple ?

« On se demande, instruit Hegel, comment un peuple
aussi vide de substantialité spirituelle, de substance-par-soi,
peut en venir à la conscience de la vie suprême, du substantiel véritable. »

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Quand Hegel donne son cours sur la Gita, c’est en réaction à l’enthousiasme que portait pour elle son contemporain Wilhelm von Humbold, un grand érudit.

 Wilhelm von Humbold : citation sur la bhagavad-gita et le mahabharata

Hegel n’appréciait pas sa manière d’entendre cette œuvre car il considérait que le peuple hindou, « à l’esprit mensonger », était lâche et qu’un État libre, parlant de l’Inde, « ne peut pas exister et que doit uniquement dominer, au contraire, un despotisme arbitraire –tantôt cruel, tantôt plus amène. » C’est ce qu’il enseignait durant ses cours en Allemagne en 1822.

Étant chrétien et considérant l’avènement de Jésus comme le point d’orgue de l’histoire, il discourait à partir d’une expérience religieuse conservatrice, ce qui fait qu’il avait tendance à parler des deux côtés de la bouche. L’Inde était trop compliquée pour être juste, selon lui, ses multiples dieux le démontraient : « Avec la religiosité surgit aussitôt l’embarras de savoir quelle présentation on doit retenir; car, d’une part, la mythologie indienne est extrêmement vaste, et, d’autre part, les présentations en sont diversifiés. … Elles sont donc d’un genre très différent, et il n’existe absolument aucun accord. Aussi, ne peut-on échapper à la confusion qu’en laissant ressortir l’esprit universel de la religion. » Détourner son intelligence de cette complexité ne résout pas le problème et ne prouve pas que cette diversité n’a pas sa raison d’être, en accord avec l’esprit universel de la religion, mais seulement que Hegel n’a pas accès au secret de Polichinelle distillé par la Bhagavad-gita.

Bhagavad-gita citation-IX-2

Et dans le même souffle il ajoute : « On se demande comment un peuple aussi vide de substantialité spirituelle, de substance-par-soi, peut en venir à la conscience de la vie suprême, du substantiel véritable. » On est gêné pour lui... pour ce philosophe qui a été le maître à penser de générations successives. La Bhagavad-gita, encore une fois :

Krishna dit : « La substance matérielle en sa totalité, nommée brahman,
est le siège de la conception; ce brahman, je le féconde, ô Arjuna,
et je rends ainsi possible la naissance de tous les êtres.
Comprends cela, ô fils de Kunti, que toutes espèces de vie procèdent
du sein de la nature matérielle, et que j'en suis le Père,
qui donne la semence. »
XIV-3 et 4

Écusson allemand. Hegel et l'Inde
Écusson allemand. Hegel et l'Inde

Les Allemands se faisaient l'idée que c'est la fonction publique et le titre qui font l'homme, que c'est donc par rapport à la distinction du titre qu'on peut mesurer l'importance des personnes et le respect qu'on leur doit; en conséquence de quoi les allemands sont tombés dans le ridicule. Hegel, in Encyclopédie des sciences philosophiques.*

« Messieurs ! L’objet de ces cours est la philosophie de l’histoire mondiale. »

Par cette parole, Hegel commence sa séance académique, en l’an 1830. « La philosophie de l’histoire, continue-t-il, n’est pourtant rien d’autre que la considération pensante de cette histoire. »

On se demande ce qu’elle aurait pu être autrement ? Mais peut-être est-ce un avertissement, car si elle n’est que ça, une considération pensante, il est vrai alors que chacun use de la pensée à sa manière, personnelle et subjective. Nous devrions savoir également que l’histoire n’est pas une science certaine ; non pas que les éléments historiques sont insuffisants mais à cause plutôt du mental qui déforme volontairement les faits et élimine ceux qui ne le satisfont pas. C’est un secret de polichinelle. Il est cependant intéressant d’observer comment Hegel, en 1830, va s’y prendre pour garder son objectivité, lui, dont l’esprit est nourri de christianisme, et enseigner à son auditoire une histoire sérieuse de ce qu’il croit savoir. C’est dire jusqu’à quel point il pourra distinguer et partager les faits tels quels, souvent construits sur des préjugés, si puissants à son époque, et dont seul un esprit attentif, intègre et cultivé peut dépasser les embûches qui jalonnent le parcours.

« … et penser, après tout, renchérit-il, nous ne pouvons jamais cesser de le faire, car l’être humain est un être pensant, c’est-à-dire qu’il se distingue de l’animal. »

Messieurs !** Vous savez tout cela autant que moi. Il faut toutefois souligner cette singularité : les animaux sont incapables de reconstituer une histoire pour la transmettre.

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* Je résume, et je fais ainsi chaque fois que je ne place pas de parenthèses pour le citer exactement.
** Les dames n’étaient pas encore présentes. C’est vers 1860 qu’à l’instar d’autres pays occidentaux le mouvement féminin prendra réellement son essor en Allemagne. Mais c’est surtout à partir de la fin des années 1880 que se posera de façon accrue la question de l’admission des femmes à l’université

« Je pourrais donc en quelque sorte, continue-t-il, m’adresser à ceux d’entre vous, Messieurs, qui ne sont pas encore familiers avec la philosophie, en leur demandant d’aborder l’exposé de l’histoire mondiale avec la foi en la raison, avec l’exigence, la soif de la connaitre. »

Il nous met en garde cependant : se méfier des historiens qui voudraient nous faire avaler des couleuvres. Car il existe parmi eux des professionnels, en tout cas chez les Allemands, nous dit-il, qui ont une forte emprise sur leurs contemporains et « qui font ce qu’ils reprochent aux philosophes, à savoir fabriquer des affabulations a priori dans l’histoire. Pour donner un exemple, c’est une affabulation largement répandue que celle selon laquelle il y aurait eu un premier peuple, le plus ancien, instruit directement par Dieu. »

Ce n’est pas le cas ? À quel peuple faisaient-ils allusion ? Pas le juif tout de même, il n’est pas assez ancien. Je ne vois d’autre, en vérité, que le peuple hindou. Par exemple Krishna et d’autres Avatars avant lui se sont directement adressés aux gens du peuple, pour peu qu’ils désiraient sincèrement sa présence, afin de les instruire sur la complexité du monde et du moyen d’atteindre le paradis. Je ne connais pas d'autre cas historique. Même le Dieu de Moïse se confond avec la montagne pour communiquer. Et c’est un ange qui s’adresse à Mahomet, pas Dieu, du moins pas directement.

Le Seigneur Bienheureux dit : Maintenant écoute, ô Arjuna.
Voici de quelle manière, pleinement conscient de moi dans la pratique du yoga,
ton mental à moi lié, tu me connaîtras tout entier, sans plus le moindre doute.
Dans sa totalité, je te la révélerai, cette connaissance et du phénomène et du noumène,
hors de quoi il n'est rien qui reste à connaître. 

Bhagavad-gita VII.1-2

Si de rares individus parmi ses confrères ou historiens étaient d’avis que les Hindous, souvent érudits et pieux parmi les brahmanas, eurent une relation privilégiée avec Dieu, Hegel ne partageait pas leur enthousiasme et ne cessait de décrier la médiocrité des Indiens à l’imagination sauvage et superstitieuse. En cela, ce pilier de la philosophie et du rationalisme rejoignait la pensée commune quant à l’Inde, issue principalement de sa religion. C'est elle qu'il a contribué à propager.

Hegel se moquant des yogis

Je vous livre en bref et en résumé, de la bouche du cheval, le portrait dégénéré et débilitant qu’il brosse de ce peuple : « L’Indien est ainsi comme un homme tombé au plus bas qui, délivré de toute spiritualité, et s’abandonnant au désespoir, se forge grâce à l’opium un monde rêvé, un bonheur délirant. Dans le rêve s’expriment en outre les abîmes les plus profonds de l’esprit, même si par ailleurs ce sont des absurdités et les divagations les plus complètes. Aussi trouvons-nous des sacrifices constants, et en particulier des sacrifices humains. On voit souvent chez les Indiens des sociétés entières se jeter, se précipiter dans le Gange, non par dégoût de la vie, par hypocondrie, mais pour se sacrifier et se consacrer à Dieu. C’est ainsi qu’ils jettent également leurs enfants aux crocodiles, ou qu’ils les suspendent aux arbres dans des nacelles. Un anglais en a rencontré un qui durant 20 ans s’était imposé de ne pas dormir autrement que debout et qui, pour ce faire, s’était d’abord attaché à un arbre. Un autre a dormi pendant 34 ans dans un lit avec des clous pointus. D’autres s’assoient immobiles, en fixant le regard dans la direction de leur nez, et attendent qu’on leur donne à manger. Si ce n’est pas le cas, ils meurent de faim. Des tourments, des abstractions de ce genre, il y en a une masse infinie. C’est donc la seule manière dont l’Indien sait s’unir avec l’Un. Aussi percevons-nous chez eux la conscience de l’Idée suprême, des déterminations les plus sublimes, mais mêlées aux billevesées les plus arbitraires. L’Indien ne parvient pas à cet être éveillé. Sa religion, sa tentative de parvenir à la conscience, est un combat avec ces rêves, un combat rêveur, une recherche, une nostalgie, qui ne parvient qu’à être ballottée d’un contraire à l’autre.D

De ce point de vue, nous trouvons beaucoup de choses qui reposent sur du spéculatif. Les brahmanas rêvent et inventent la fable d’un règne antérieur purement indien qui aurait existé avant les conquêtes islamiques. Mais, à y regarder de près, tout cela sombre dans l’onirisme, dans la fantaisie poétique, cela se désagrège totalement.

Nous l’avons déjà remarqué, les Indiens n’ont aucune perspective historique et ils ne sont pas capables d’historiographie, ce qui, en dernière analyse, caractérise parfaitement le portrait que nous en avons dressé. Pour nous représenter la différence, il suffit de considérer ce que dit l’Ancien Testament de la situation des patriarches d’Israël. Cela, les Indiens ne peuvent absolument pas le saisir. Les Indiens sont totalement incapables d’une caractérisation rationnelle de ce genre. Chez eux tout se fond en images sans mesure. Ils ne sont pas capables de rationalité d’entendement.

Sati, la femme de Shiva, s'immole par le feu, Shiva arrivant trop tard
Sati, la femme de Shiva, s'immole par le feu, Shiva arrivant trop tard

Les Orientaux (en l’occurrence les Hindous) ne savent pas que l’esprit, ou l’homme comme tel, est libre en soi. Parce qu’ils ne le savent pas, ils ne le sont pas. […] C’est d’abord chez les Grecs que s’est levé la conscience de la liberté, et donc ils ont été libres. Mais les Grecs eux-mêmes, comme d’ailleurs les Romains, surent seulement que Quelques-uns (sic) sont libres, non pas que l’homme comme tel l’est. Cela, Platon, ne le sut pas, ni Aristote. C’est pourquoi les Grecs ont non seulement eu des esclaves -dont leur vie et la subsistance de leur belle liberté dépendaient- mais leur liberté elle aussi ne fut elle-même, d’une part, qu’une fleur contingente, passagère, et en même temps, d’autre part, qu’une dure servitude de l’homme, de tout ce qui est humain.

Seules les nations germaniques réussir à acquérir, dans le christianisme,
la conscience que l’homme en tant qu’homme est libre, que la liberté de l’esprit
constitue sa nature la plus propre. C’est dans la religion, la région la plus intime
de l’esprit, que cette conscience s’est d’abord éveillée. »

Faut croire qu’il avait mangé de la vache enragée le jour où il a donné ce cours !

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