Les grands enjeux de société et les idées qui en font la trame, avec humour, passion et gravité.
17 Décembre 2011
« Plus que la métaphore du bateau en elle-même, c'est l'entreprise de Rimbaud qui est révolutionnaire : il n'utilise pas l'image du bateau, il se fait lui-même bateau à la place du lecteur, bateau sans gouverne qui se laisse voguer d'échoppe en échoppe, de douleurs en douleurs, d'extases en extases et qui retranscrit cette sorte de voyage dans le monde des sensations. Il s'est fait "voyant" pour le lecteur. Et pour le coup, cette façon d'aborder la poésie est vraiment nouvelle.
- À se tordre de rire! La haute et grande poésie c’est de mettre un bateau à la place de l’homme!? De se prendre pour un bateau! Quel génie! Et il voguait sur quoi, une mer de sperme? Vraiment? Vous croyez que vous pouvez jouer de la métaphore up and down sans queue ni tête et prétendre raconter quelque chose d’intelligent, d'universel… Comme dit le dicton, comparaison n'est pas raison; une métaphore, pour qu’elle ait une certaine puissance imaginative et surtout qu'elle soit sensée, exige d’avoir des points de similitude avec l'objet que l'on compare ; le plus elle en aura, le mieux elle touchera. Sinon, autant écrire n’importe quoi ! Un voyant, Rimbaud !? C'est plutôt l'aveugle, conduisant d'autres aveugles... C'est reposer sa culture sur des mots incapables de formuler ne serait-ce que l'espoir d'une santé mentale ou d'une vie riche d'expériences édifiantes. Rimbaud, c'est tout le contraire, c'est la misère de l'humain qui n'a pas réussi son embourgeoisement ! C'est l'emblème de la nullité.
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Avant de commencer, il faut que je vous dise que les Baudelaire de Sartre et de Troyat sont excellents ! Ils m’ont beaucoup fortifié dans la représentation négative que j’avais de ce poète. Prenant Baudelaire, et même Rimbaud, pour le mieux qu'on puisse affirmer objectivement à leurs égards, c'est que leur poésie est adroitement belle et percutante. Mais diriez-vous profondément authentique ? Parce qu'elle exprime une réalité sensible que les gens « tendres et pures », comme prétend Platon, perçoivent ? Non pas ! Je serais effrontément prosaïque, pour m’exprimer à mon tour en poète mystérieux… La poésie de Baudelaire traverse les limbes de l'intelligence pour s'accorder et vibrer avec les désirs du cœur -et plus loin encore: avec les soupirs de l'âme !
J'ironise, vous voyez bien. Car ce vocable, âme, comme je ne cesse de le marteler, ne signifie pas grand-chose d'universelle, et plus particulièrement de nos jours, ni d'ailleurs pour Baudelaire. Âme, sous sa plume, est appropriée pour les jeux de mots interchangeables avec mental ou esprit. Comme en poésie la rigueur des idées est un handicap, tout est pour le mieux dans le merveilleux monde des Muses.
C'est de l'art pour l'art. La forme prime sur l'entendement. L'histoire, ou plus précisément son influence, participe à la forme, car Baudelaire revendiquait, dit-on, les libertés de l'homme nouveau, selon la mode française, du révolutionnaire qui déterre et jette des pavés : « A travers l'histoire, une force sociale nombreuse se cherche, le nombre immense qui n'a jamais vu sa forme . . . (Pardon, je voulais dire sa force; je paraphrase Olivier Besancenot qui continue ainsi:) C'est cela notre gauche. Face au vide sidéral de la gauche traditionnelle, je bas le rappel de ceux qui ont été à la gauche de la gauche plurielle, puis à la gauche de la gauche institutionnelle et même, au rythme où vont les choses, à gauche tout court ! » Mais il a des conditions, prévient-il. Normal. Dieu reconnaîtra les siens. Voilà qui est bien.
Baudelaire, lui, durant les barricades et le succès des combats, voulait qu'on fusille son beau-père. Sa tronche ne lui plaisait pas. Ce n’est pas seulement parce qu’il faisait l’amour à cette mère, cette mère qu’il aimait mieux que lui et plus fort; cette mère adorable qui lui avait été soufflée impunément par cet être détestable mais dont la notoriété et la respectabilité se répandaient à travers le monde; non, ce n’étaient pas pour ces raisons particulièrement; c’était plutôt parce qu’il avait mis des conditions sur la vitesse à laquelle il dépensait son héritage. Dans le texte précédent j’en faisais allusion lorsque je comparais sa vie à celle de Darwin. (Ah, je ne sais plus de quel texte il s'agit...)
On avait donc massacré beaucoup de monde, mais pas son père. De là, doucement, il a dérivé vers la gauche des tavernes, puis, de sa bohème de prédilection et de la périphérie idéologique pour finalement ramper vers la droite. Exit la simplicité de l'humble écrivain, place aux privilèges de la plume bourgeoise; le dandy, poète parmi les poètes, arrive ! Mais c'est une époque et un monde où l'on ne peut pas jouer double jeux.
Il ne suffit pas de montrer patte blanche, mais également ses couleurs. Elles doivent scintiller dans le lustre des blasons de la tradition. Baudelaire n'accepte pas de conditions. Maudit comme il est par le sort, et son sale caractère, il ne peut prétendre à un autre art que son don de la poésie qui lui a été offert sur un plateau en or; ce bien là, nulle autorité ne le lui brimera : il créera Les fleurs du mal. (Il devra tout de même et sous le coup des lois se plier aux considérations des éditeurs, à son grand désappointement. Ce qui n’aidera pas à sa santé, physique et mental, qui se détériorent rapidement. Il en mourra d’ailleurs. ) Il a l'excellence du verbe, l'originalité de l'idée, la nouveauté de la prose, et ces qualités couronnent la valeur exceptionnelle de sa poésie qui ravit tant les esprits, tout comme les papillons de nuit sont attirés par la lumière du feu. Je ne suis ni sourd ni aveugle en tant que lecteur, mais la technique, je trouve cela nécessaire et bien, cependant elle ne m’impressionne pas outre mesure.
En vérité, cette façon de concevoir l’art, de jongleries professionnel poussées à l’extrême, à la perfection olympique, tout cela un être cruel à l'excès pourrait tout aussi bien l’accomplir. Avec plus ou moins d'éclat. Voilà où je veux en venir, où vous me rencontrez. Tout dépend des intérêts du milieu, de la conscience qui reçoit une œuvre, des affinités. L’artiste qui propage la destruction jusqu’à sa propre déchéance n’est pas sain. Une personne prédisposée à la guerre privilégiera ce qui raisonne fort à son oreille : le vacarme des armes. L'art, c'est avant tout une question d'atomes crochus et de publicité. Comme on dit, les oiseaux du même plumage s'assemblent sur le même rivage.
Cette façon de concevoir l'art transforment l'environnement en une ambiance génétiquement modifiée, si je puis dire, et l'air du temps porte allégrement ces œuvres maudites. Grâce aux éditeurs, elles éblouissent les sens avides de beauté, comme un bouquet d'artifices dans un sinistre ciel noir. C'est alors la consécration. On exhume à posteriori de la tombe ce qui reste du créateur. On le parfume, le revêt d'habits de circonstance et on le place en pendant de son œuvre pour nous gratifier de sa gloire posthume. On s’écrie alors : « Voilà un génie! » comme si les mauvais génies ne faisaient plus peur, comme s’ils avaient définitivement disparu sous cette forme de l’inconscient collectif. Comme ces admirateurs de Staline, qui pleurent devant le buste du Petit père du peuple se remémorant l’exaltante époque de son règne. Bref, bon ou mauvais c’est du pareil au même. Il s’agit simplement de séparer l’œuvre de l’auteur et le tour est joué. De ne pas aller au bout des raisonnements. Hitler, par exemple, c’était un être horrible. Donc, si l’on coupe et l’on sépare, on obtiendra par ce procédé un être sensible qui adorait les enfants. Mais bon! Hitler, on est tous d’accord, c’était un tyran fou. On est dans le politically correct. De toute façon, les juifs sont trop forts pour qu'il en soit autrement, avec Staline par exemple, qui massacra un nombre supérieur d'humain. (Je dis ça mais allez dans les pays arabes et vous trouverez beaucoup de monde pour vous affirmer qu'Hitler n'était pas aussi démoniaque qu'on le prétend. Annah Arendt dirait, par sa théorie de la banalisation du mal, qu'il y a en chacun de nous un Hitler en veille... )
Ah! Je me suis fait avoir. Voilà que je suis en train d’écrire sans suivre mon plan. Je croyais procéder à un condensé de ce que je ressentais au sujet de Baudelaire. Mais vous avez compris où je veux en venir. . . En plus, vous me connaissez maintenant. « Quand le diable est beau, le dire il le faut ! » avais-je écrit.
C'est une ambigüité sur laquelle les cultures, se revendiquant de l'homme préhistorique, de son origine bestiale -toutes les cultures pratiquement-, s'évertuent à surfer en profitant des vagues stimulantes de la nouveauté et de la technologie dans un plaisir délirant. Chez Baudelaire, cette ambigüité suaient de ses pores: «Il a plus de sensibilité que de tempérament», écrira Sartre; et plus loin: «on s'étonne parfois qu'il est l'air d'une femme.» Dans La belle et la bête de Jean Cocteau, avec Jean Marais, le monstre devient désirable. Cocteau fait découvrir au publique que même chez l'être le plus vil il y a de la beauté cachée capable de la manifester dans des conditions idéales. Des réalisations très prisées à l’époque. Dommage qu’on n’ait pas creusé un peu plus en profondeur pour Hitler. Imaginez donc les circonstances qui l’ont poussé à ces extrêmes!
Détendons-nous. . . En écrivant cela, je pense à cette lionne qui, dans un parc au Kenya, avait adopté un troisième bébé oryx, une espèce d'antilope qui compose d'ordinaire le menu des félins africains. Je ne sais pas si ça peut aider. . . En fait, Baudelaire, Rimbaud, Cocteau, ces poètes, qui subjuguent tant les esprits du culte humaniste, n’étaient pas des gens du peuple; ils créaient et pensaient pour eux.
Baudelaire! Autrefois, je déclamais souvent -pour épater- ces fleurs de lui: « O Beauté, viens-tu du ciel ou sors-tu de l'abîme? Ton regard, infernal et divin, verse confusément le bienfait et le crime. »
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