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Le blog de Maroudiji

Les grands enjeux de société et les idées qui en font la trame, avec humour, passion et gravité.

Fawzia Koofi : Dieu n'est pas un boucher

Dieu en action

Huit heures, dimanche matin. Je me suis levé tard, contrairement à mon habitude et je fais la grâce matinée. Je m’installe dans mon lit avec un livre et mon ordinateur à porté de main pour recopier des notes le cas échéant. Je me suis servi un bon café, sucré avec du chocolat juste arrivé de France. J’adore ces moments de délices. Pourtant, la lecture va me plonger en enfer. Drôle de situation. Genre -en plus grave- le gars en train de se gaver de pop corn et savourant sa bière tout en regardant les massacrés de Kigali témoigner sur son écran, avec images défilant sur toile de fond. Dans Lettres à mes filles, ce sont les atrocités afghanes dont l’auteure subit atrocement les injustices. Madame Koofi est enceinte et son mari vient d’être jeté, sans raison sérieuse, dans la prison la plus infernale du pays. Il mourra quelques temps plus tard. Pour l’instant, la voici dans sa famille se souvenant de sa toute petite enfance : «J’avais envie de revenir à cet âge, à l’époque où j’étais une petite villageoise innocente dont la préoccupation était de voler des chocolats ou de s’habiller et de chausser des sabots. »

http://philippe-rey.quiexpose.net/oeuvre/146_photo_oeuvre-art-le-boucher.JPGIci, ce ne sont pas les Russes, les Américains ou l’OTAN qui sont la cause de ses malheurs, mais les hommes de son pays, des musulmans remplis de haine et assoiffés de pouvoir. Koofi écrit : «L’une des grandes questions que nous nous posons souvent dans la vie est : "Pourquoi?" Pourquoi il arrive ce qui arrive? En tant que musulmane, j’ai des convictions. J’y crois et elles font partie de moi. Je crois que Dieu seul décide de notre destin. Il décide de notre vie et de notre mort. Mais cela n’en rend pas moins douloureux les deuils et les malheurs de ma vie.»

Dieu responsable des abominations causées par les hommes?!? Quel Dieu est-ce là que l’on va ensuite adorer?! Un boucher!

« Mais pendant que les moudjahidin se battaient pour le pouvoir, réglaient de vieux comptes et passaient des accords avec des gouvernements voisins, une autre force se constituait ailleurs en Afghanistan, dans les madrassas, les écoles religieuses, au sud du pays. Un mouvement nommé "taliban".

Les talibans avaient instauré une nouvelle règle : toutes les femmes qui sortaient de chez elles, quelle qu’en soit la raison, devaient être escortées d’un muharram, un homme de famille. Cette règle, comme beaucoup d’autres, relevait davantage de la culture arabe que de la nôtre*. Du temps de ma grand-mère, les femmes ne sortaient pas seules mais, au fil des générations, ces coutumes avaient changé en Afghanistan, comme dans toute coutume qui évolue. Au lieu de nous propulser vers l’avenir, les talibans nous rejetaient dans le passé.»

taliban.jpg«Je n’oublierais jamais le bruit des véhicules des "patrouilles du Vice et de la Vertu". C’était en général des pick-up Hilux. Ils sillonnaient les rues avec des haut-parleurs sur les toits qui braillaient des versets du Coran. Quand elles les entendaient approcher, les femmes qui se trouvaient dans la rue filaient se cacher quelque part. On pouvait être fouetté pour un détail ou une erreur infime. Parfois, les talibans vous regardaient et vous rouaient de coups sans raison. J’ai vu un jour une jeune fille se faire battre. Sa mère et sa sœur se sont jetées sur elle pour la protéger. Les talibans ont continué à asséner leurs coups sur le trio. C’était de la folie!»

*Voir ma critique du film Le voyage de Nadia: cinéma. Cela se passe en Algérie où ce genre de coutume "arabe" persiste dans des régions éloignées.

http://photo.parismatch.com/media/photos2/actu/monde/fawzia-koofi/2794911-1-fre-FR/Fawzia-Koofi_articlephoto.jpg

Fawzia Koofi durant un meeting

  Par son témoignage on se rend compte que la religion n’aide en rien à soulager la souffrance des hommes et des femmes causée par leurs pairs. Dans le pays entier des millions de musulmans se comportent comme des sous-hommes aux mœurs moyenâgeux et aux impulsions plus sauvages que celles des bêtes. Où est passé le pouvoir purifiant de la religion musulmane? Où sont les vertus acquises par la dévotion au Divin, à l’Être suprême? C’est d’une honte phénoménale! Les non-musulmans sont capables de beaucoup mieux, d’immensément plus civilisés!

« Ces hommes, s’écrie Koofi, ne sont pas des musulmans, ce ne sont même pas des êtres humains. »

Non, la religion dogmatique, surtout après la disparition de son fondateur, n’a aucune influence à long terme dans l’évolution d’un peuple. Ni d’un individu. Au contraire, au bout de quelques siècles, historiquement, c’est le contraire qui se produit. Et ses préceptes, son enseignement et sa morale s’appliquent à coup de règles, de lois, de slogans, de récitations et de crosses. Comme Dieu est irrationnel, au-delà de la raison, ses représentants se font un devoir de le démontrer. Demandez-leur de s’exprimer sur Dieu, l’âme, la cosmologie, vous vous rendez compte tout à coup de la profonde ignorance qui afflige ses représentants excités de Dieu. C’est une répétition du pattern des chrétiens fondamentalistes durant l’inquisition. Ils en sont encore là!

http://www.voicesontherise.org/uploads/images/exhibitions/IWD_08_380.jpg « En même temps, continue-t-elle, je me suis juré de ne pas perdre de vue mes principes et mes valeurs. Si vous suivez toujours le troupeau, vous vous perdez, vous oubliez ce en quoi vous croyez. » 

« C’était l’avènement de la vraie démocratie en Afghanistan. Dans les années 1965-1975, le roi avait décidé d’instaurer un parlement et de permettre au peuple de s’impliquer dans le processus de décision en votant pour ses représentants locaux. » 

[…] « C’est en 1978 que les Russes et les moudjahidin ont commencé à faire sentir leur présence en Afghanistan. C’était en pleine guerre froide. L’Union soviétique voulait montrer sa puissance. Elle menait alors une politique expansionniste. […] Plus tard, les combattants afghans, appelés moudjahidin, mettraient en échec les envahisseurs russes et deviendraient les héros du peuples. Mais à l’époque, ils n’étaient pour les Afghans que des rebelles s’opposant au gouvernement. »

Son père « convoqua les responsables de la province à une réunion d’anciens et de chefs de tribus, et leur rapporta ce qu’il avait vu à Kaboul : un gouvernement qui tuait en toute impunité, qui barrait l’accès de la jeunesse à l’enseignement de crainte qu’elle apprenne la dissidence, un pays où les enseignants et les intellectuels vivaient dans la peur permanente. Les opposants au régime étaient purement et simplement éliminés. C’était tout ce qui restait des promesses des années florissantes du règne de Zaher Shah, lorsque le développement de l’Afghanistan était considéré comme l’un des plus rapides au monde. Le pays était alors une destination touristique prisée, équipé de tramways modernes et de stations de ski prospères, une démocratie florissante appuyée sur l’essor économique. Tout avait été balayé par la réalité du communisme. »http://cache.daylife.com/imageserve/07MU6FO5M4d9D/340x245.jpg?fit=scale&background=000000
Puis, tout sera encore une fois balayé par la réalité moudjahidine, puis par celle plus radicale encore, des talibans.

« Je crois aussi à la justice de la charia à laquelle mon père adhérait, […] Dans la théorie et dans sa forme la plus pure, c’est un système équitable, fondé sur les valeurs de justices de l’islam. Cependant, les lois du cœur sont tout autres. Ces règles ne peuvent s’appliquer dans les mariages polygames. Si le cœur d’un homme accorde sa préférence à certaines plus qu’à d’autres, comment peut-il lutter contre cette inclination?» Elle ne répond pas à cette interrogation, je le fais donc pour elle : il vaut mieux avoir une femme, et forniquer avec des prostitués quand l’envie irrépressible vous prend. (Ce qui n'est pas mon genre, ayant comme conjointe une adorable et beautiful wife.) En d’autres mots, soit vous abandonnez la charia, soit vous en faites une refonte adaptée au monde d’aujourd’hui, ce qui n’a rien à voir avec les mœurs du désert arabique au Moyen-âge.

http://s.tf1.fr/mmdia/i/34/2/lci-tf1-des-talibans-2213342_1902.jpg?v=2« Les talibans avaient instauré une nouvelle  règle : toutes les femmes qui sortaient de chez elles, quelle qu’en soit la raison, devaient être escortées d’un muharram, un homme de famille. Cette règle, comme beaucoup d’autres, relevait davantage de la culture arabe que de la nôtre. Du temps de ma grand-mère, les femmes ne sort aient pas seules mais, au fil des générations, ces coutumes avaient changé en Afghanistan, comme dans toute culture qui évolue. Au lieu de nous propulser vers l’avenir, les talibans nous rejetaient dans le passé. »

    http://img.src.ca/2009/03/31/480x270/AFP_090331afghanistan-femmes-burqa_8.jpg

« Mon foulard me couvrait intégralement les cheveux et j’étais vêtue avec modestie, en accord avec les enseignements de l’islam, mais sans ma burqa je me sentais curieusement nue. J’ai commencé à songé combien les talibans avait perverti l’islam. Ces hommes disaient agir au nom d’Allah, mais ils ne respectaient pas le Dieu qu’ils prétendaient représenter. Au lieu de suivre le Coran, ils se plaçaient au-dessus des enseignements du Livre saint. Ils croyaient qu’eux-mêmes, et non Dieu, avaient le droit de devenir des arbitres de la morale, de décider de ce qui était vertueux et de ce qui était interdit. Ils avaient détourné et corrompu l’islam pour en faire l’instrument de leurs menées égoïstes. »

déni fawzia KoofiPlus loin encore : « Je portais ma burqa tous les jours et, curieusement, cela ne me gênait plus. Il n’y avait pas de talibans au Badakhchan, et aucune loi ne me forçait à la porter. Cependant, la plupart des femmes d’ici en mettaient et c’était le cas de toutes mes étudiantes. Comme je voulais être respectée, pour le bien de mon école, j’ai décidé de les imiter. Je crois que cela m’est égal de la porter parce que je l’avais décidé : personne ne me l’avait imposé. »

Les militaires Américains et canadiens sont en train de quitter l’Afghanistan. Les infos nous apprennent que les Américains sont en pourparler avec les talibans. J’espère qu’ils savent ce qu’ils font. Mais bon, comme tout le monde désire le retrait des troupes, ils n’ont pas vraiment le choix. Je rappelle, cependant, sous la plume de Koofi, l’avertissement du président afghan, Ahmad Shah Massoud, au reste du monde juste avant son assassinat, deux jours avant le 11 septembre.

http://mecanoblog.files.wordpress.com/2010/10/2382eed69f13cede43c74e043e1042b0.jpgJe résume : « Pour beaucoup, Massoud était le héros des moudjahidin, l’homme qui avait mené la bataille contre les Soviétiques. […] Mais pour la plus grande partie de la jeune génération, Massoud avait commencé à devenir un héros quand il s’est lancé dans la lutte contre les talibans. Il avait souvent été la seule voix à s’élever contre l’extrémisme qu’ils représentaient. Il avait prévenu le monde contre les terroristes et l’avait payé de sa vie. Encore aujourd’hui, j’ai peine à comprendre comment l’Occident a pu ignorer la menace du terrorisme islamique. »

http://img.over-blog.com/600x400/1/94/62/41/DIVERS/massoud.jpgMassoud avait annoncé aux dirigeants du monde entier que si le terrorisme n’était pas tué dans l’œuf en Afghanistan, il arriverait jusque sur leurs rivages. Il avait tenté d’expliquer qu’il était un musulman convaincu, mais que l’islam prôné et propagé par les talibans n’était pas celui qu’il approuvait et ne représentait ni la culture, ni l’histoire de la nation afghane. Il avait cinq enfants, quatre filles et un fils. Toutes ses filles avaient fait des études et il le disait souvent. »

Deux jours avant l’attaque du 11 septembre, Massoud est assassiné. On n’avait pas pris au sérieux son avertissement.

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