Les grands enjeux de société et les idées qui en font la trame, avec humour, passion et gravité.
22 Février 2014
Cette théorie n'est pas une idée nouvelle, on la retrouve dans le Mahabharata. Bhisma, l’Aïeul, baissait à chaque fois les bras lorsque Sikhandi apparaissait devant lui. Et l'on peut dire que c'est à cause de Sikhandi que les Kaurava perdirent la guerre. Du moins, c'est par sa faute que Bhisma sera atteint mortellement par les flèches d'Arjuna. En effet, Bhisma ne prenait pas Sikhandi pour un homme véritable mais pour une femme. En tant que Kshatryia, suivant strictement le dharma, en l'occurrence l'éthique des arts martiaux, il ne pouvait se battre contre une femme. Or Sikhandi était réellement un homme dans son corps présent. Il est vrai cependant que dans sa vie passée, il était une femme du nom de Amba. Comme l’Aïeul vivait déjà à cette époque et dirigeait le royaume en tant que tuteur des jeunes princes, il avait accidentellement brisé son mariage. Par la suite, il refusa de la marier pour remédier à son erreur, malgré ses demandes insistantes, et cela à cause de son vœu de célibat.
Par ses austérités et ses prières, Amba repris naissance en tant que fils de Drupada. Elle devint Sikhandi, le frère de Draupadi et de Drishtadyumna. Ce dernier deviendra plus tard le commandant en chef de l'armée des Pandava. Ce faisant, ils opposèrent les Kaurava durant la bataille de Kurukshetra. Bhisma savait tout cela à propos de Sikhandi.
Donc, pour en revenir à la théorie du genre, celle-ci postule le fait que nous ne naissons pas garçon ou fille, mais que nous le devenons. En d'autres mots, les apparences physiques ne forment pas absolument l'identité, notre nature profonde ne correspond pas obligatoirement à notre sexe. Selon cette vision des choses, il suffit d'être sensible à nos penchants intérieurs, psychologiques et physiques, pour réaliser ce que nous sommes en vérité. Bhisma connaissait bien cette réalité.
On peut s'étonner toutefois d'une telle conduite, car si pour fonctionner et interagir avec nos semblables, nous devrions prendre en compte non pas notre identité actuelle mais celle d'une existence plus ancienne, la vie de tous les jours serait un véritable chaos sociétal. Imaginez que vous appreniez que la femme dont vous êtes tombé amoureux était votre mère, votre sœur ou votre fille dans son existence précédente et que vous exécriez l'inceste au plus haut point, comment pourriez-vous vivre alors avec une telle pensée ?! Heureusement que nous ne gardons pas le souvenir de nos vies passées. Heureusement que des gens de la stature intellectuelle de Bhisma ne prennent plus naissance en notre temps, dans l'Âge de Kali. Est-ce réellement une avancée ? Doit-on s'en réjouir ? Quoi qu'il en soit, ainsi que nous l'avons mentionné précédemment, Bhisma était le dernier de cette espèce, le dernier homme intègre et érudit.
Service Canada à ses employés : «Nous vous demandons, personnel de première ligne, d’utiliser un langage neutre au niveau du genre», peut-on lire dans la note de service. On suggère d’utiliser les noms et prénoms à la place des traditionnels "monsieur" ou "madame". On recommande aussi d'éviter l’emploi des mots "mère" et "père" au profit du terme générique «parent.» |
Depuis le début des temps, l'histoire hindoue intégra le troisième genre dans sa société le plus naturellement du monde, sans créer de crise d’hystérie homophobe ou de fermeture envers les différences sexuées. Il n'y a point de version Sodome et Gomorrhe dans les textes védiques. Nous revenons sur cette singularité brièvement abordée dans l'article ci-dessous il y a trois ans; nous raconterons la transformation d'une femme, Amba, en homme, Sikhandi, la bête noire de.Bhisma.
Désirant marier le roi Vichitravirya, son demi-frère, assis sur le trône d’Hastinapura, et ainsi assurer la postérité des Kuru, Bhisma se rendit dans la ville de Kashi où le roi organisait un swayamvara (choisir soi-même) pour ses trois filles en âge de se marier. Durant ces festivités, rois et princes de toute l’Inde étaient invités à venir démontrer leurs talents martiaux et impressionner ces demoiselles. La tradition guerrière leur permettait de choisir leur époux parmi les prétendants.
Mais voilà, selon les mœurs kshatriyas, violents par définition, il existait entre autres une tradition de mariage très agressive qui consistait à kidnapper la future mariée au nez et à la vue de tous les prétendants ; un combat féroce s’engageait alors. Fort de ses capacités extraordinaires de guerrier et considérant ses rapports conflictuels avec le roi de Kashi, c’est la solution qu’envisagea Bhisma.
Bien entendu, il s’en sortit haut la main et offrit les princesses à son frère. Ce faisant et malgré lui, il avait attaché le grelot sur une des jeunes filles. Cet acte de mauvais augure le poursuivra jusqu’à sa dernière heure, par-delà le temps et les apparences. Ainsi, le coup de grâce lui sera asséné par cette princesse lors de la bataille de Kurukshetra alors qu’elle avait changé de sexe pour devenir un redoutable guerrier du nom de Sikhandi. Cette infortune permettra finalement à Bhisma la libération de sa condition déchue sur terre et de jouir à nouveau de son statut de dieu du ciel, Dyaus, un mal pour un bien.
Il y avait cependant un problème. L’aînée, Amba, fit savoir qu’elle était déjà fiancée à Shalva et insista pour être libérée de ce stratagème politique au nom de la dignité humaine et du dharma. La requête lui fut accordée et elle retourna chez elle. Mais entre-temps son fiancé avait subitement perdu sa fougue amoureuse et refusa de prolonger leur idylle. N’avait-elle pas été enlevée selon la tradition des Gandarva et lui-même perdu le combat pour la soustraire des mains de l’usurpateur ? En outre, elle avait passé un temps considérable en la compagnie d’autres hommes, dès lors il n’était plus question pour lui d’envisager le mariage.
Le cœur déchiré, Amba retourna chez le roi Vichitravirya et frappa un autre mur. Celui-ci invoqua le principe kshatriya qui veut que l’on ne reprenne pas ce qui a été donné une fois. Humiliée et aigrie par la tournure que prenaient les événements, elle se tourna alors vers Bhisma et le mit en demeure de la prendre pour épouse puisque c’est lui après tout qui l’avait enlevée, et non son frère. Il devait dorénavant assumer le résultat de ses actes, en accord avec le dharma.
Il refusa, évidemment. Peu importe la providence, il s’en tiendrait à son vœu de célibat toute sa vie. Amba sortit de ses gonds et lui lança ses paroles : « Tu as ruiné ma vie ! Tu n’avais aucun droit d’abuser de moi si ton vœu t’interdisait de le mariage. Maintenant je ne peux devenir la femme de personne. Honte à toi et à tes procédés ignobles ! Tu ne paies rien pour attendre ! »
Sur ce, elle quitta le palais et s’enfonça dans la forêt, avec la ferme résolution de se venger. Elle pratiqua le yoga, et ses austérités lui valurent les grâces de Kartikeya, le fils de Shiva, aussi connu sous le nom de Skanda*. Il lui offrit une guirlande de lotus, jurant que celui qui la mettra à son cou sera en mesure de tuer Bhisma. Mais personne ne voulait se compromettre en la mettant à son coup. Amba fit le tour de Bharata sans trouver un seul guerrier qui ait l’audace de provoquer Bhisma en duel, tant il était craint.
Un jour, elle arriva au palais du puissant Drupada (celui qui deviendra le père de Draupadi). Elle y essuya un refus. De dépit, elle jeta à terre la guirlande sacrée et retourna dans la forêt.
Cette fois, elle se rendit, directement à l’ermitage de Parasurama dans l’Himalaya. Elle lui raconta le drame qui vrillait sa vie jusque dans l’âme. Quand il entendit sa plainte, il en fut si choqué qu’il prit à cœur sa détresse. Il décida sur le champ d’aller donner une leçon à Bhisma et de lui rappeler les bonnes manières : soit il se mariera soit il l’enverra dans l’autre monde ! Puis il se mit en route pour passer des paroles à l’acte.
Pourtant, aussi invraisemblable que cela paraisse, même en tant que guru, Parasurama ne put faire changer Bhisma d’avis. Un combat de plusieurs jours s’ensuivit sans que ni l’un ni l’autre ne réussissent à prendre le dessus. Et l’affaire en resta là, pour le dire succinctement.
De retour dans la forêt, ses macérations et longues méditations lui valurent les faveurs de Shiva, qui se manifesta à elle. D’une oreille attentive il l’écouta, et prophétisa que dans sa prochaine existence elle sera en mesure de tuer Bhisma. Tel sera leur destin à tous deux.
Heureuse enfin d’avoir atteint son but, Amba ne put patienter plus longtemps. Elle amassa assez de bois pour édifier un bûcher et, sous le regard des sages, elle y mit le feu et se jeta dedans, prononçant ces paroles fielleuses : « Je me suicide à cause de toi Bhisma, mais je reprendrai naissance et te poursuivrai jusqu’à ce que tu mordes la poussière. Je veux voir ta chute de mes propres yeux. »
* Skanda, ou la création d'un puissant Dieu
Quand Amba renaît comme une fille
mais affublée d’un nom de garçon, Sikhandi
Lorsque l’on dit qu’elle a repris naissance, ce « elle » ne doit pas être entendu comme le corps mais l’âme. C’est son âme qui se réincarne dans un nouveau corps, avec des restes, plus exactement mentaux, ce que l’on appelle aussi le corps subtil. Ce n’est pas l’âme qui reste attachée à la haine ou à la violence d’une expérience passée, mais le corps astral, comme on dit encore. Jusqu’à la fin de sa vie, Amba ou Sikhandi seront considérés par Bhisma comme étant le même être.* Il sera une des rares personnes à pouvoir délier le vrai du faux, à voir au-delà du présent et des apparences. Amba deviendra le prototype historique du transgenre dans sa complexité psychologique et la première femme à transformer son corps en homme. Sauf que Bhisma, parce que directement visé, répugnera à ce stratagème biologique. C’est dire que cette ambiguïté du sexe et de la personne engendre des problèmes singuliers pour tous, sans parler de la grande souffrance avec laquelle le transgenre doit composer tout le long de sa vie.
Pendant ce temps, le roi Drupada, qui entretenait des dissensions intestines passionnées avec Bhisma et son royaume, s’adonnait à de sévères pénitences pour obtenir un fils capable d’envoyer sa bête noire dans l’autre monde. Obligé par sa sincérité, Shiva, à qui les sollicitudes étaient adressées, combla son désir. L’enfant, cependant, apparaîtra sous la forme d’une fille mais deviendra homme par la force des choses. Ce contretemps ne nuira en rien au plan de Drupada de voir l’Aïeul mourir.
À la naissance de leur fille, Drupada procéda à la cérémonie destinée aux enfants mâles et lui donna un nom de garçon, Sikhandi. L’assemblée ne se rendit jamais compte du subterfuge. Un jour, en jouant, Sikhandi s’était emparée de la guirlande de lotus, qui avait été conservée comme une relique divine, et l’avait mise à son cou. Un signe qui ne trompait pas. Ses parents l’élevèrent donc en secret comme un garçon. Personne ne sut jamais la vérité jusqu’au jour du mariage programmé par les parents, étrangement. Comment pouvaient-ils s’imaginer marier Sikhandi sans que l’épouse choisie ne découvre le pot aux roses ? En effet, par la force du karma et de leur conviction spirituelle ils ne pouvaient se soustraire à cette étape incontournable et traditionnelle ; c’est dire à quel point l’amour filial était nourri par l’illusion, maya : la mère s’étant prise au jeu affectif, Sikhandi était parvenue à être pour elle un garçon normal, comme tous les autres garçons en âge de se marier. Elle avait réussi à convaincre son mari, par sa foi en la providence, du succès hasardeux de cette entreprise en lui rappelant la promesse de Shiva.
Le roi voisin, Hiranyavarma, offrit sa fille et la cérémonie fut célébrée en grande pompe, comme si de rien n’était. Drupada et sa femme faisaient totalement confiance au Dieu Shiva malgré que le corps de Sikhandi fût toujours celui d’une femme au moment du mariage. Ce qui devait arriver arriva : l’épouse se rendit compte avec effroi de la situation et envoya des serviteurs prévenir son père. Comment ne pas prendre cette affaire pour un affront ? Le roi vit rouge et ordonna à ses chefs militaires de préparer son armée. Drupada allait s’en mordre les doigts et regretter à tout jamais de l’avoir fait monter à l’arbre de la manière la plus effrontée. Il ne méritait plus d’être assis sur le trône du royaume de Panchala.
Or Drupada était un roi puissant qui n’avait pas froid aux yeux mais au tempérament doux. Conscients d’avoir commis une offense, sa femme et lui ne savaient comment se sortir de ce mauvais pas sans provoquer une guerre inutile qu’ils ne désiraient absolument pas. Mais voilà, les jeux sont faits et il va falloir s’assumer et rendre compte de la mise.
SSon garçon manqué, Sikhandi, réalisant l’embarras dans lequel ses parents étaient empêtrés à cause d’elle et pour les délivrer de ce cauchemar qui allait terminer en bain de sang, choisit de fuguer et d’avoir recours au suicide. Elle s’enfonça dans les bois et lorsqu’elle trouva un endroit approprié, elle commença à jeûner jusqu’à la mort.
Le lieu était habitait par une créature sylvestre (Yaksha) du nom de Sthunakarna et disciple de Kubera, le dieu des richesses et des Yakshas, entre autres. Heureusement pour elle, cette chimère appartenait à une espèce gentille. Après avoir observé Sikhandi discrètement pendant plusieurs jours, il se dévoila et la questionna sur les raisons de son comportement, après tout elle était encore si jeune pour vivre ainsi en recluse. Pris de bons sentiments pour elle, ayant été mis au courant de ses malheurs, il proposa de lui offrir temporairement les avantages de son corps masculin, avec la promesse de le lui retourner dès que la tourmente sera passée. Ils se mirent d’accord et Sikhandi partit pour le palais, ravie de la tournure des événements. Elle était née coiffée.
Ces parents exultaient de la revoir. Et surtout d’apprendre ce qu’il lui était arrivé dans la forêt, qu’elle était dorénavant pourvue d’un corps d’homme. Comment ne pas voir là un signe de bon augure pour la suite des choses ? Drupada envoya tout de suite un émissaire au devant d’Hiranyavarma qui conduisait en personne son armée : « Que des femmes soient envoyées pour qu’elles constatent par elles-mêmes que Sikhandi est bel et bien un homme. Il y a méprise. »
Ce que fit Hiranyavarma. Après quoi elles revinrent l’informer que son gendre était un homme en bonne et dû forme, et qu’il n’avait rien d’un eunuque, ajoutèrent-elles à la blague. Soulagé, il se dépêcha d’aller rencontrer Drupada et s’excusa pour ce quiproquo. Il gronda vertement sa fille pour l’avoir induit en erreur et remercia le ciel pour cette fin heureuse. Après avoir passé une quinzaine de jours en leur compagnie, Hiranyavarma prit congé et retourna chez lui le cœur léger.
Une fois le danger écarté, Sikhandi quitta le palais pour aller retrouver Sthuna et lui rendre son corps. Quoiqu'elle lui ait porté la guigne il fut très content de la revoir. Son honnêteté le touchait. Elle aurait pu se dire après tout qu’elle était bien comme ça et l'envoyer au diable. Les proches de Sthuna l'avaient d'ailleurs stigmatisé pour s’être laissé posséder par une humaine, lui cédant son corps. Une mortelle en plus ! Son maître Kubera s’était même déplacé pour s’enquérir des détails loufoques de l’affaire. Puis il l’avait châtié sévèrement. La punition consistait à garder son corps de femme pour toujours !
Ravagé par cette malédiction, Sthuna implora si bien la clémence de son maître que celui-ci, ému par ses regrets, allégea sa peine : il gardera sa féminité jusqu’à la mort de Sikhandi, seulement alors il redeviendra homme. Amba n’en croyait pas ses oreilles : elle allait rester garçon pour le reste de sa vie ! De tout son cœur elle remercia le Yaksha et se dépêcha d’aller porter la nouvelle à son père. Quand Drupada entendit cela, il réalisa sans plus aucun doute que sa fille sera le glaive de la justice, qui frappera à mort son ennemi.
Ainsi est racontée cette histoire pleine de rebondissements dans le Mahabharata.
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Complément philosophique sur la nature de l'être
Qui en chaque être voit l'Ame suprême, partout la même,
ne laisse pas son mental l'entraîner à la dégradation.
Ainsi parvient-il au but suprême et absolu. (Bg. 13-20)
B.S. Prabhupada continue ainsi : « Quoiqu'il fasse, ou soit censé faire, pour son bonheur ou son malheur, l'être y est contraint par sa constitution corporelle; et le vrai moi demeure extérieur à toutes ces activités physiques.
Le corps est obtenu en fonction des désirs passés de l'être, pour les satisfaire.
Et l'être agira selon le corps qu'il revêt.
Pour ainsi dire, le corps est une machine, dessinée par le Seigneur Suprême pour satisfaire les désirs de l'être conditionné, désirs qui sont à la source même des difficultés qu'il rencontre, dans le plaisir comme dans la souffrance.
Cette vision spirituelle de l'être permet, lorsqu'on la développe, de se détacher des activités du corps, et celui qui la possède voit les choses dans leur juste relief. »
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Et pour en lire plus en relation avec cette histoire : Les malheurs de Drona et de Drupada
Il faut tuer Bhisma - Le blog de Maroudiji
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