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Le blog de Maroudiji

Les grands enjeux de société et les idées qui en font la trame, avec humour, passion et gravité.

La bhagavad-gita et Carl Jung

Dans l'élaboration de mon écriture sur le Mahabharata, je suis arrivé au chapitre de la Bhagavad-gita. Pour l'instant, je termine le second chapitre; c'est le deuxième le plus long du livre, le premier étant le dernier, c'est-à-dire le 18ème. Voici donc quelques citations que j'ai extraites "at random", en attendant la publication de ce chapitre.

PS. Vous allez tomber sur le mot 'guna' et je vous en donne ici, dans ce texte, une explication illustrée.


 

Vous avez lu ce que dit Carl Jung au sujet des trois qualités et vous avez compris plus ou moins ce qu'il veut exprimer. Dans la tradition occidentale de la pensée, on prend rarement ce que l'on voit, ce que l'on entend ou ce que l'on lit tel quel; on interprète, on y ajoute son grain de sel et on refait l'histoire. Le problème que je relève ici, c'est son incompréhension du mode du rajas, qui est très répandu cependant. Pour lui, rajas joue le rôle qui est, d'après les Védas, dédié au sattva, à Vishnou. Il inverse les fonctions. Vous remarquerez qu'il n'a pas de mot précis pour décrire le rajas en français. Pour sattva, il donne 'lumineux' et 'bien'; pour l'ignorance, 'torpeur', 'ignorance' et 'obscurité'. Pour rajas, aucun vocable déterminant. Relisez, vous comprendrez mieux ce que j'ai à dire à ce propos. Chacun tire la couverture de son côté, me direz-vous avec perspicacité, et je répondrai avec un de mes dictons préférés, "on fait son lit comme on se couche". Il est bon tout de même d'avoir un autre point de vue. Personnellement, je ne spécule pas quand les textes expriment clairement les idées et les instructions, et même si je ne comprends pas, je me réfère aux commentaires des acaryas, c'est-à-dire les grands maîtres qui ont eu à cœur cette approche, les vaishnavas, dévots de Vishnou, puisqu'il s'agit en fin de compte de lui, en l'occurrence, Krishna.

Dans la Bhagavad-gita, un chapitre entier est consacré aux gunas. Krishna explique à Arjuna: « Sattva, rajas, tamas, telles sont les qualités issues de la nature matérielle. Dès que l'être humain vient au monde, il se trouve irrémédiablement affecté par ces trois gunas. Sache que la vertu, le plus pur d'entre eux, éclaire l'être et le purifie de ses actes mauvais. La passion consiste en désirs ardents et sans fin et engendre l'attachement. Quant à l'ignorance, elle égare tous les êtres sous sa dominance: négligence, paresse et somnolence sont principalement ses marques. »

Alain Lercher, philosophe, rappelle tout de go ce que la passion représente en premier lieu dans nos esprits : l'amour -comme dans « vivre une grande passion amoureuse. » Et si c'est une chose, précise-t-il, comme les échecs, il est synonyme d'« obsession, intérêt dévorant. » Voilà donc un aspect de la passion; l'amour illustre fort bien le rajas: on aime, on se marie, on a des enfants et ainsi on fonde une famille qui nécessite énormément de temps et d'énergie. Mais l'amour à son côté négatif; il nous prendre la tête et s'empare des émotions et des sens, au point de nous rendre aveugle. Rajas est difficile à maîtriser quand on lui a lâché la bride et conduit souvent à boire la coupe jusqu'à la lie. Le sexe, cependant, n'est pas son seul champ de prédilection; le jeu en est un autre. On l'a vu avec Yudhistir : malgré les avertissements, la passion obnubilait sa raison et il ne put s'arrêter à temps; il perdit absolument tout par obsession pour les dès. Le kshatriya est l'emblème de cette qualité, il a besoin de passion pour mener à bien son devoir, pour protéger ses sujets et combattre. Dans cette circonstance, elle est un stimulant. En sanskrit, les mots sont plus proches de leur sens. Par exemple, on appelle un roi, raja ou maharaja.

La passion en amour, c'est plutôt récent. Jadis, en Europe, le mot était compris différemment. Mais, de nos jours encore, quand on parle de passion, nos interlocuteurs ne sont pas sur la même longueur d'onde. Philosophes et penseurs leur ont transmis un sens spécial et religieux, et c'est celui-ci qui s'est imposé. Dans son livre, à l'entrée Passion, Lercher explique que cette signification que nous avons donné à l'amour est nouvelle. Il écrit: « Dans des textes antérieurs au XVII siècle, ou dans des textes plus récents, mais de contenu philosophique, ce sens n'est pas pertinent. Ainsi tout chrétien a entendu parler de la "passion du Christ" et sait bien que cette expression ne désigne pas un grand amour de Jésus. » Pour plus de clarté, et ne pas abuser en recopiant Lercher, je prends l'étymologie d'un site virtuel, le Wiktionnaire, ainsi on comprendra mieux pourquoi Carl Jung n'use pas de ce mot, alors qu'il est essentiel pour distinguer les trois qualités de la nature matérielle dans leur fonction respective. la passion étant représentée par Brahma. (Ce dernier, le premier être de l'Univers, et celui qui l'a créé également, est par conséquent le père originel de tout ce qui vit en ce monde. Mais à cause de son désir incestueux pour sa fille, il n'est pas adoré en Inde, sauf à Puskar où un temple lui a été dédié.)

« Du latin passio: action de supporter, souffrance, maladie, indisposition,
'passion', affection, perturbation, morale, accident, passivité. »

C'est tout le contraire de rajas. Le dictionnaire continue ainsi:

« Passio est pour sa part issu du verbe patior signifiant: souffrir, éprouver, endurer; autrement dit un ensemble d’états dans lesquels un individu est « passif », par opposition aux états dont il est lui-même la cause. »

Bref, "pathos" a été traduit par les Pères de l'Église par "passio", tiré de "pâtir" et qui s'opposait à "agir". À l'époque de Jung, les gens n'auraient pas compris que la passion, rajas, est une qualité qui stimule l'individu, qu'elle a plus à voir avec la volonté de puissance et de pouvoir. Déjà que le sujet ne se prêtait pas particulièrement à l'audience chrétienne qui était la sienne, mais si en plus de ça il avait fallu remettre en question le vocabulaire, il aurait certainement frappé un mur. (En France, il ne fit guère mieux...)

Fermer la parenthèse.

Ci-dessous, citations illustrées tirées de la Bhagavad-gita

La bhagavad-gita et Carl Jung
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