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Le blog de Maroudiji

Les grands enjeux de société et les idées qui en font la trame, avec humour, passion et gravité.

Vyasa : surtout ne dîtes pas son nom !

L'Inde et ses avatars Mahabharata, VyasaC'est un nouveau livre que l'on retrouve en librairie. J'ouvre au hasard et je lis, dans la partie rédigée par Mathieu Boisvert : « Dans les cinq siècles qui suivent l'arrivée des Aryens [...] Georges Dumézil montre que les Ariens possédait une structure sociale tripartite. »

Tout est faux. Dumézil, lui-même, le dit.

Toute personne avec peu ou prou l'esprit éveillé a entendu parler de Platon, Aristote, Jésus, Bouddha, Mohamed, Kant, Freud ou Sartre. Les plus éduqués connaissent Avicenne (Ibn Sina), Al Ghazali, Sankara ou Ramanuja.

Mais qui a jamais entendu parlé de Vyasa ?

Ou plutôt qui mentionne, en Occident, Vyasa comme étant l'un des plus grands penseurs de l'histoire, sinon le plus grand!

Jamais son nom n'est prononcé! Pourtant, il est celui qui a mis pour la première fois la littérature védique par écrit, ce qui correspond à une quantité prodigieuse de textes raffinés et complexes; il est celui qui a fait une refonte des Védas et a rédigé les Puranas et le Mahabharata. Sans parler que l'écriture n'existait pas avant lui, en tout cas pas sous forme de littérature. On ne discute pas de lui, c'est comme s'il n'avait jamais existé, comme si les écritures sacrés étaient apparues par l'opération du Saint-Esprit... Ne trouvez-vous pas cela singulier ?

Pour illustrer mon questionnement, sur le plus grand intellectuel que le monde ait méconnu, je prendrais un exemple probant tiré du livre "L'Inde et ses avatars". Au chapitre intitulé "L’hindouisme", l'auteur, Mathieu Boisvert, fait un tour d'horizon de l'histoire de ce pays et une récapitulation de la littérature qui y a vu le jour. Il parle de la vallée de l'Indus, des Aryens (les vieilles thèses, caduques), des origines des Védas, des Brahmanas et des Upanishads; il explique ce que sont le Ramayana et le Mahabharata; il parle des Puranas ainsi que d'autres écritures fameuses, mais, à aucun moment, il ne mentionne leur auteur, c'est-à-dire Vyasa !?! C'est comme si je vous résumais l'histoire et les écrits islamiques ou chrétiens mais que je ne vous donnerais pas le nom du Prophète Mohamed ou celui de Jésus-Christ... Un problème ?

___________

Veda-Vyasa et les poids lourds de la littérature

Le Brahma-sutra ou Védanta-sutra est le chef d’œuvre de Vyasa le plus cité et commenté bien que le moins accessible, paradoxalement. Ce personnage notoire parmi les spiritualistes hindous est aussi connu sous le nom de Véda-Vyasa pour avoir compilé et rédigé, outre ce sommaire des Védas, le Mahabharata et les Puranas.

Les Brahma-sutras contiennent plus de cinq cent cinquante aphorismes énigmatiques, appelés sutras. Un sutra est en quelque sorte un court dicton elliptique. Ils sont si courts qu'il est très difficile d'en retirer leur signification, et si l'on réussit, que cette lecture puisse satisfaire tout le monde. Parfois il n'y a pas de verbe, et parfois il y a un verbe mais pas de sujet. C'est pour cette raison que nous ne pouvons pas les appréhender directement et que nous devons faire appel aux commentaires (bhāśya) de grands maîtres reconnus, notamment Sankara, Ramanuja, Madva ou Vallabha.

Les sutras ont été rédigés pour expliquer le sens mystérieux et complexes de certains passages des Upanishads. Mais encore là, ces commentaires restent difficiles à saisir pour le commun des mortels. Une des raisons de cette difficulté, nous l'avons vu, c'est que la mémoire et l'intelligence des sages d'antan étaient supérieures et que l'imprimerie n'existait pas; on recopiait les textes à la main et ils étaient principalement transmis de bouche à oreille. Pour que la mémoire puissent stoker et répertorier ces textes longs et difficiles, il fallait utiliser une méthode de codification.

Il n'y avait pas un seul système de mémorisation, mais plusieurs, selon l'école et les préférences. Dans tous les cas, pour éviter de surcharger la mémoire, des aphorismes concis et codés étaient de loin préférables. Un des plus fameux d'entre eux est Om athato brahma jijnasa : "Maintenant nous allons nous enquérir du Brahman".

Naturellement, pour qu'une telle science soit pratique, cela sous-entend que l'auditoire était prêt, qu'il n'avait pas besoin qu'on lui explique l’abc, qu'il est sur la même longueur d'onde que l'orateur, le maître.

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J
Non c'est normal. Parce qu'un chercheur qui écrit un essai doit se baser sur des faits historiques, et qu'en l'absence de preuves historiques, Vyasa comme les anciens Rishis, comme Narada, ou les avatars sont des personnages mythiques, appartenant à la croyance, à la foi, comme vous voulez pas certainement pas à l'Histoire, jusqu'à preuve du contraire. <br /> La tradition attribue les pouranas à Vyasa, mais les historiens considèrent que ce sont des ouvrages tardifs certes issus d'une tradition orale, mais qui ont été adaptés au fur et à mesure de leur mise par écrit. Ainsi le Visnu Purana cite les membres de la dynastie Gupta, preuve qu'il n'a pas été écrit avant le 4ème siècle de notre ère. L'ajout tardif de Bouddha comme avatar est une autre preuve d'arrangement tardif (qui ne plait pas du tout aux bouddhistes lol).<br /> Ramanuja qui lui est un personnage historique au 11ème siècle, ne fait même pas référence au Bhagavatam qui serait encore plus récent. Il aurait pu être mis par écrit par un certain Vopadeva au 12ème siècle. Donc Vyasa ne peut pas être considéré comme un des plus grands penseurs de l'Histoire, mais comme un mythe. L'hindouisme n'a pas de fondateur historique reconnu comme l'islam ou le christianisme (encore que pour le christianisme on peut se poser des questions).
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J
Vous avez raison de dire que Vyasa est une référence incontournable pour les hindous, et je suis d'accord qu'on se doit d'écrire que, selon la croyance hindouiste, les puranas sont attribués à Vyasa, comme Mahomet aurait reçu le coran de l'ange Gabriel, comme selon la bible, la création remonte à 6000 ans... Ce qui est passionnant dans l'étude de l'hindouisme dont les origines se perdent dans la nuit des temps, c'est son évolution à partir du védisme ancien, c'est une religion vivante qui n'est pas figée dans des dogmes. On parle de védisme, puis de brahmanisme, puis de l'hindouisme classique et même de néo hindouisme. Par contre, historiquement, on peut dater approximativement l'apparition des puranas et de la doctrine des avatars, et des cultes de bhakti qui sont postérieurs au bouddhisme donc relativement récents. La liste des avatars varie, la plus ancienne étant celle du Harivamsa, et il est évident que Buddha qui ne figure pas sur toutes les listes, n'a pas été prédit mais intégré postérieurement comme 9ème avatar pour contrecarrer le bouddhisme. Ce qui laisse supposer que les puranas sont postérieurs au bouddhisme, et planer un doute sur une écriture homogène, et donc sur l'existence historique de Vyasa, qui selon la tradition remonterait à 5000 ans. C'est pourquoi la plupart des commentateurs qui étudient l'hindouisme de l'extérieur, parlent d'un personnage mythique à qui l'ont attribue la compilation des Ecritures. A ma connaissance, on n'a pas de traces de l'hindouisme puranique, qui soient antérieures au bouddhisme ?
M
Je vous pose donc une question: quels sont, svp, ces historiens dignes de ce nom, qui omettraient de citer Vyasa lorsqu'ils écrivent à propos du corpus védique? Donnez-nous un nom ou deux qu'on puisse se mettre quelque chose sous la dent.<br /> En ce qui concerne Ramanuja, c'est pour cette raison qu'il a été sévèrement critiqué par Madhva, lui aussi un grand réformateur du même calibre. Il lui reprochait d'être trop près, par ses idées, de l'école de Sankara. Ceux-là ne reconnaissent pas les Puranas ou l'existence des Dieux tels Krishna ou Varaha; ils les prenaient pour des mythes. <br /> Tous les indianistes et sanskritistes, comme Georges Dumézil ou Madeleine Biardeau, même s'ils ne sont pas des adeptes de la religion du Véda, loin s'en faut, reconnaissaient que ces écrits avaient pour auteur Vyasa. Les historiens penseraient-ils que les épopées et les Puranas sont tombés du ciel ? Le devoir d'un historien est de placer les événements dans leur contexte, de fournir tous les éléments qui font l'empreinte de l'histoire ( les croyances et les hypothèses en font partie ) et de laisser les lecteurs en juger. Les historiens ne sont pas là pour faire le trie en omettant des données essentielles pour la compréhension, quitte à donner leur point de vue après coup. Par exemple un historien ne sait pas si Mohamed a vu l'ange Gabriel ni si vraiment celui-ci lui a dicté le Coran. Ce n'est pas pour autant qu'il va occultera le fait que c'est le Prophète, d'après la tradition, qui est l'auteur du Coran. L'historien écrira alors : « C'est une croyance musulmane qui veut que Mohamed ait reçu le message de Dieu à travers un ange, mais en tant qu'historien nous ne souscrivons pas à ces faits. », ou quelque chose de ce genre. Il ne doit sûrement pas écrire un article sur &quot;L'hindouisme&quot;, parler des textes védiques sans mentionner leur présumé auteur. Mais l'historien, tel que vous en brossez le portrait, a vocation de colporter des clichés éculés tels que : « De nouveau, peu d'informations nous sont disponibles sur la culture aryenne avant que celle-ci pénètre l'Asie du Sud: ce n'est que par la suite que nous aurons accès aux Veda, dont les premiers &quot;textes&quot; auraient été composés par les Aryens eux-mêmes, peu de temps avant que ceux-ci n'arrivent sur le sous-continent. » Si vous appelez cela faire de l'histoire, je vous répondrai qu'on fait son lit comme on se couche. À noter que l'auteur de cet article n'est pas historien, il est professeur et enseigne les religions, notamment celles de l'Inde. Votre objection est comme un coup d'épée dans l'eau. Je ne sais pas à quel public est destinée la lecture de ce livre mais Vyasa, à ce que je sache, est une référence incontournable pour les Hindous, même encore au 21ième siècle. Ce n'est pas de l'histoire que de l'omettre. Une chose importante encore, ce n'est pas un essai mais un article dont nous parlons ici. Sinon Boisvert aurait fait ses devoirs mieux que ça et saurait que Dumézil avait abandonné et reconnu ses fausses thèses, en l'occurrence sur les Aryens.