21 Novembre 2013
C'est un nouveau livre que l'on retrouve en librairie. J'ouvre au hasard et je lis, dans la partie rédigée par Mathieu Boisvert : « Dans les cinq siècles qui suivent l'arrivée des Aryens [...] Georges Dumézil montre que les Ariens possédait une structure sociale tripartite. »
Tout est faux. Dumézil, lui-même, le dit.
Toute personne avec peu ou prou l'esprit éveillé a entendu parler de Platon, Aristote, Jésus, Bouddha, Mohamed, Kant, Freud ou Sartre. Les plus éduqués connaissent Avicenne (Ibn Sina), Al Ghazali, Sankara ou Ramanuja.
Mais qui a jamais entendu parlé de Vyasa ?
Ou plutôt qui mentionne, en Occident, Vyasa comme étant l'un des plus grands penseurs de l'histoire, sinon le plus grand!
Jamais son nom n'est prononcé! Pourtant, il est celui qui a mis pour la première fois la littérature védique par écrit, ce qui correspond à une quantité prodigieuse de textes raffinés et complexes; il est celui qui a fait une refonte des Védas et a rédigé les Puranas et le Mahabharata. Sans parler que l'écriture n'existait pas avant lui, en tout cas pas sous forme de littérature. On ne discute pas de lui, c'est comme s'il n'avait jamais existé, comme si les écritures sacrés étaient apparues par l'opération du Saint-Esprit... Ne trouvez-vous pas cela singulier ?
Pour illustrer mon questionnement, sur le plus grand intellectuel que le monde ait méconnu, je prendrais un exemple probant tiré du livre "L'Inde et ses avatars". Au chapitre intitulé "L’hindouisme", l'auteur, Mathieu Boisvert, fait un tour d'horizon de l'histoire de ce pays et une récapitulation de la littérature qui y a vu le jour. Il parle de la vallée de l'Indus, des Aryens (les vieilles thèses, caduques), des origines des Védas, des Brahmanas et des Upanishads; il explique ce que sont le Ramayana et le Mahabharata; il parle des Puranas ainsi que d'autres écritures fameuses, mais, à aucun moment, il ne mentionne leur auteur, c'est-à-dire Vyasa !?! C'est comme si je vous résumais l'histoire et les écrits islamiques ou chrétiens mais que je ne vous donnerais pas le nom du Prophète Mohamed ou celui de Jésus-Christ... Un problème ?
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Le Brahma-sutra ou Védanta-sutra est le chef d’œuvre de Vyasa le plus cité et commenté bien que le moins accessible, paradoxalement. Ce personnage notoire parmi les spiritualistes hindous est aussi connu sous le nom de Véda-Vyasa pour avoir compilé et rédigé, outre ce sommaire des Védas, le Mahabharata et les Puranas.
Les Brahma-sutras contiennent plus de cinq cent cinquante aphorismes énigmatiques, appelés sutras. Un sutra est en quelque sorte un court dicton elliptique. Ils sont si courts qu'il est très difficile d'en retirer leur signification, et si l'on réussit, que cette lecture puisse satisfaire tout le monde. Parfois il n'y a pas de verbe, et parfois il y a un verbe mais pas de sujet. C'est pour cette raison que nous ne pouvons pas les appréhender directement et que nous devons faire appel aux commentaires (bhāśya) de grands maîtres reconnus, notamment Sankara, Ramanuja, Madva ou Vallabha.
Les sutras ont été rédigés pour expliquer le sens mystérieux et complexes de certains passages des Upanishads. Mais encore là, ces commentaires restent difficiles à saisir pour le commun des mortels. Une des raisons de cette difficulté, nous l'avons vu, c'est que la mémoire et l'intelligence des sages d'antan étaient supérieures et que l'imprimerie n'existait pas; on recopiait les textes à la main et ils étaient principalement transmis de bouche à oreille. Pour que la mémoire puissent stoker et répertorier ces textes longs et difficiles, il fallait utiliser une méthode de codification.
Il n'y avait pas un seul système de mémorisation, mais plusieurs, selon l'école et les préférences. Dans tous les cas, pour éviter de surcharger la mémoire, des aphorismes concis et codés étaient de loin préférables. Un des plus fameux d'entre eux est Om athato brahma jijnasa : "Maintenant nous allons nous enquérir du Brahman".
Naturellement, pour qu'une telle science soit pratique, cela sous-entend que l'auditoire était prêt, qu'il n'avait pas besoin qu'on lui explique l’abc, qu'il est sur la même longueur d'onde que l'orateur, le maître.
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