Les grands enjeux de société et les idées qui en font la trame, avec humour, passion et gravité.
27 Septembre 2015
« Les mathématiques sont le langage de la nature. Il suffit de découvrir les formules qui la structurent et nous aurons raison d’elle. Parce que la nature est un objet. »
Quand je paraphrase les scientifiques.
La critique que vous allez lire a été écrite pour un forum auquel je participe depuis cet été (2015) : Culte et Religion. Étrangement, il pilule de gens qui déclament leur athéisme forcené comme si celui-ci était une consécration de la Sélection naturelle de Darwin. C’est aussi là que j’ai rédigé ma critique du livre de Michel Onfray, Cosmos.
La boîte de Pandore
La base du savoir occidental : les mythes grecs
Étienne Klein fait dans cette vidéo* une brève narration d’un mythe grec pour expliquer le temps tel que le concevaient les Anciens. C’est un mythe sur l’origine de la création franchement horrible et anthropomorphique à souhait qui s’adresse à... on se demande d'ailleurs à qui ? Je peux vous dire tout de même qu’un nombre effarant d’intellectuels français, tout confondus, ont vanté l’excellence éducative de ces mythes (interdit aux moins de 13 ans). Un exemple pertinent parmi ces intellectuels, actuel et populaire, est celui de Michel Onfray dont nous avons déjà dit ce que nous en pensons de son engouement pour cette ancienne culture. Ici : Cosmos de M. Onfray ou le bluff des athées
Mais, à la différence de Klein, qui lui est un scientifique, notre philosophe ne dit rien sur le temps. Intimidé ? Dans son livre, il ne discute pas de sa conception; peut-être le fera-t-il dans le prochain sur lequel il travaille déjà… Ou alors a-t-il décidé de bluffer encore ? Faut le faire tout de même : nommer un livre Cosmos sans parler du temps ! N’a-t-il pas écrit également et répété à celui qui voulait l’entendre, quasiment à toute la France du petit écran, de cesser de lire des livres qui racontent le monde...
C’est très bouddhiste comme idée. En effet, les bouddhistes, à la suite de Gautama, ont prêché énergiquement l’abandon de la littérature védique. Mais notre Bouddha historique n’a jamais partagé une conception quelconque de l’Univers. Quand on le questionnait à ce propos, il gardait le silence.
En fait, à bien écouter et lire les scientifiques au sujet de leurs conceptions du monde, il y a au milieu de ce fatras d’idées beaucoup d’imagination bouddhiste. Le vide ou le néant, par exemple. (Ok, on s’est entendu pour le néant, c’est la faute à Voltaire et non aux scientifiques qui ne font pas appel à ce concept creux.) Serait-ce simplement une coïncidence où est-ce leur affinité athéiste qui fait ressortir cette ressemblance ?
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* Pour voir le vidéo : D'où vient le temps ?
Et si l'univers n'avait pas de but ? D’où vient le temps ? Ce questionnement revient souvent chez Étienne Klein. C’est un bon professeur qui a compris que si les scientifiques ne reprenaient pas les choses en main, les bancs d’école où l’on traite de matière scientifique allaient être désertés. Et des conséquences plus graves encore en découleraient.
Néant, vide, zéro, hasard ou accident ne peuvent plus servir de départ absolu, rationnel et logique pour expliquer scientifiquement l’origine de l’Univers. Prétendre néanmoins que l’Univers est éternel, sans créateur, comme le concevaient les Grecs, n’est pas mieux, ce n’est pas une alternative solide, cela ressemble plutôt à un emplâtre sur une jambe de bois.
Pour convaincre son auditoire, Klein se propose de comparer brièvement les connaissances de la science actuelle sur le temps avec les anciennes, c’est-à-dire les mythes. Il faut donc commencer par le début et admettre qu’on n’a pas attendu le XXI siècle pour y songer ; tous les peuples primitifs avaient leur explication sur l’origine du monde. C’est un phénomène naturel que de se poser la question d’où l’on vient et pourquoi ce monde existe.
Comparer n’est pas le mot, car science et croyance sont deux postures radicalement différentes chez nous, et c’est le but de l’exercice : démontrer à l'auditoire notre supériorité écrasante et incontestable par rapport aux savoirs des Anciens (évolution oblige, nous sommes de loin plus intelligents et plus raisonnables qu'eux…). Mais, par objectité, il faut tout de même entreprendre la genèse de cette recherche qui a abouti -dernière grande découverte scientifique- au boson de Higgs. Une révolution qui va nous éclairer sur le processus primordial du développement de l’Univers, pour ne pas dire de son origine. Il en est fier, notre Klein.
Comme nous allons voir, il explique le temps selon la conception grecque, mais à aucun moment il ne fait allusion au Mahabharata dans lequel justement il est question du temps, notamment dans la fameuse partie du livre appelée la Bhagavad-gita. Il ne connait pas, faut croire. Pas assez éduqué ? Non, je suis sarcastique... Mais, moi, qui n'a pas l'étoffe d'un intellectuel, quand je veux comprendre un sujet je fais le tour de la question. Je vais dans la plus importante bibliothèque de la ville ou sur Internet et je consulte les principaux ouvrages. Il s'agit de ne rien rater et de ne pas proférer des bêtises.
Hormis dénigrer la culture hindoue en un paragraphe dans un livre, Étienne Klein, tout comme le philosophe Michel Onfray, ne souffleront mot sur cette partie du monde, si féconde en la matière*. Pourtant Oppenheimer a rendu fameux à travers le monde un des versets de la Bhagavad-gita sur le temps. Le temps… N’est-ce pas de cela que l’on parle ou sommes-nous hors contexte ? C’était dans les années 40, quand la bombe H a explosé. Il l’aurait prononcé de mémoire, lui qui lisait la Bhagavad-gita dans le texte originel, ayant appris le sanskrit. Il y a donc des scientifiques qui connaissent cet aspect et d’autres qui l’ignorent. Pourquoi ?
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* Dans ses cours, il reste avare d'explication, mais il en révèle un peu plus dans ses livres. J'ai pu lire quelque chose à cet effet dans Les tactiques de Chronos, j'y reviendrai à la fin de cette critique que je publie telle qu'elle s'est déoulée sur Forum.fr
Le Monde*, dont vous trouvererez le lien en bas de page, donne cette version du verset de la Bhagavad-gita et dans lequel Krishna est évacué pour être remplacé par Shiva : «Oppenheimer, qui, avant d'être un physicien, est un humaniste pétri de philosophie, de culture indienne et de littérature, puise dans les textes du Bhagavad Gita et lâche après ces événements : "Maintenant, je suis Shiva, le destructeur de mondes."
Voici le verset originel trouvé sur Wikisource** en faisant une recherche : « Le Seigneur Bienheureux dit : Je suis le temps, destructeur des mondes, venu engager tous les hommes. En dehors de vous [les Pândavas], ils périront tous, guerriers des deux armées qui s’affrontent. » 11.32
Certains vous diront que la vérité n’est pas absolue, que chacun possède sa vérité. C’est pour cela qu’au lieu d’écrire Krishna, Le Monde, le journal d’information des Français, biaisé mais très lu, surtout par les intellos, a préféré écrire que c’est Shiva l’énonciateur de cette vérité.
Rassurons-nous, Le Monde n’est pas assez futé pour procéder à une telle altération par lui-même. L’Inde en est la première responsable. Les shivaïtes contemporains n’acceptent pas que Krishna soit pris pour Bhagavan (Dieu) au lieu de Shiva, lui aussi souvent désigné par Bhagavan. Et dans cette perspective -telle qu'énoncée par les Écritures-, c’est bien Shiva qui détruit les mondes à la fin. Sachant que les shivaïtes se plaisent à s’identifier à Dieu ("je suis Dieu") et qu’ils ne reconnaissent pas de Dieu personnel, on comprend alors pourquoi Le monde a falsifié le sens évident de la Bhagavad-gita. Les oiseaux du même plumage, dit le dicton, s'assemblent sur le même rivage.
Cependant, le contexte est sans équivoque: la grande bataille de Kurukshetra décrite dans la Bhagavad-gita s’apprête à débuter. Et c’est bien Krishna qui prend les rênes du char d’Arjuna, pas Shiva… Ce verset commence par Sri Bhagavan uvacha : Krishna, Bhagavan, Dieu, dit. Ensuite, le verset commence par Kala 'smi, Je suis le temps. Je, ici, c’est indubitablement Krishna. Il faut être tordu pour y voir quelqu'un d'autre, aussi grand soit-il.
Au-delà de cette polémique concernant Shiva et Krishna, on s'aperçoit qu' les Hindous discutaient déjà de la question du temps avec subtilité et beaucoup de science. Pourquoi ceci n’est-il pas mentionné ? Parce que c’est inintéressant ? Comment le sait-on puisque personne n’en parle jamais ?!
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Étienne Klein est également un philosophe des sciences. Il croit dur comme fer que la conception scientifique académique est le produit d'une pure invention -dans le sens positif du terme- à mettre au crédit de l’imagination des scientifiques.
Par le biais fantasque des mythes, on se rend compte avec le recul à quel point il est difficile de figurer un monde de l'au-delà en partant de l'imagination, même bien intentionnée, d’autant plus qu'elle est humaine. À vrai dire on ne trouve guère de description exhaustive d’un monde spirituel raconté par les mythes. En connaissez-vous ? L’olympe n’en est pas un ; il fait partie de ce monde ici-bas. De toute façon, les Grecs avaient une vue simpliste et erronée de l’espace, que dire d’imaginer un au-delà à celui-ci, un monde qui aurait sa propre consistence et ne serait pas simplement l’opposé ou un transfert des lois et des structures du nôtre?
Petite parenthèse. Dans les Védas il est dit que le monde spirituel, tout comme Dieu ou l’âme, n'est pas appréhendable par la logique ou la spéculation. Seul Dieu peut révéler la vision ou l’intelligence à l'élucidation de ces mystères. Théoriquement, ce savoir est transmissible.
Et pour ce qui est des juifs, ils ne croyaient pas à un monde situé ailleurs que sur Terre. Pour eux et pour les Grecs, notre planète était l'unique monde habitable de l'univers, le paradis étant quelque part sur Terre. Même leur enfer à tous les deux était basique; ces caractéristiques se confondaient avec les entrailles de la Terre. Le reste de l’Univers était vide, comme on le croit encore aujourd’hui.
J’en profite pour le redire encore une fois : seuls les Hindous ont une "mythologie", dans le sens noble du terme, ou une histoire de la création qui n’est pas avare de détails sur l’existence d’un Autre monde, supérieur et spirituel, peuplé d'êtres humains, animaux, plantes, rivières, montagnes et océans. Là-haut tout y est conscience, bonheur et éternité, ce qui signifie que le temps n’y a pas d’influence.
Seuls les Hindous ont une explication élaborée sur le sens de ce monde ici-bas. Tous les Puranas majeurs apportent leur contribution à l’explication de la création et du fonctionnement des Univers, sur notre condition et celle des bêtes et des plantes, sur la structure de la matière et de sa forme, sur son évolution et la façon dont la vie s’y déploie. Les Puranas, qui racontent l’histoire des hommes et du monde depuis leur tout début, sont une mine de savoir et non des moindres. Comment peut-on les ignorer ? Pourquoi les ignore-t-on?
Curieusement, cela n'intéresse pas. Le monde occidental n’y porte aucune attention. Il préfère dénigrer dans une dynamique de confrontation culturelle et dogmatique. Les plus désintéressés diront qu'il ne faut pas y voir de malice, et surtout une conspiration. C’est de l'insouciance, pour user d'un euphémisme. Nous ne faisons rien pour corriger et étendre notre champ de connaissance.
Je reproduis ci-dessous un exemple tiré du journal Libération*, pour mieux juger de ce travers propre à toutes les nations qui culpabilisent à cause de leur passé. France, États-Unis, Canada ou Australie, c’est plus ou moins pareil : on sabre dans les livres d’histoire et on fait disparaître ce qui n’est pas reluisant. Jeune, j’ai appris que les méchants c’était toujours les boches, les Japs et les indiens. Mais nous autres, nous étions civilisés et jamais nous ne nous comportions comme ces brutes, sauf exception. Pour lire l'article sur Libération
L'État japonais condamné à la vérité historique
« Le verdict est historique. Pour la première fois, le gouvernement japonais vient d'être condamné par la Cour suprême pour avoir censuré dans un manuel scolaire les références à la guerre bactériologique menée en Chine et à Singapour pendant la Seconde Guerre mondiale par la sinistre unité 731, un corps spécial de l'Armée impériale japonaise qui a aussi pratiqué des expérimentations biologiques sur des prisonniers civils chinois.
En supprimant ce passage de l'ouvrage, le ministère de l'Éducation a commis un acte «illégal», ont estimé hier les juges de la Cour suprême. »
Ah, je voulais aussi ajouter que maintenant, pour ne pas contredire la loi, le Japon a décidé de supprimer carrément les cours d’histoire du programme d’études. Ils parlent même d’éliminer tous les cours de science autres que les sciences techniques : « Le gouvernement japonais demande aux universités de ne plus enseigner les sciences humaines. » Lire l'article
Pour ce qui est des boches et des Japs, vous me direz que cela se passait il y a cinquante ans, on a évolué depuis (toujours cette persistante idée…), nous reconnaissons parfaitement nos torts. Nous avons changé. Or, je discutais tout récemment avec un Français bien éduqué et dont la mère avait été institutrice en Algérie avant l’indépendance, il prétendait que les Français avaient beaucoup apporté aux peuples des pays qu’ils avaient colonisés. Il niait en l’occurrence les massacres perpétrés par les policiers français et l’armée en Algérie. Je lui ai donné l’exemple de ce qui s’est passé dans la ville où je suis né, les milliers de citoyens qui ont été assassinés parce qu’ils avaient manifesté avec un drapeau algérien à bout de bras. Puis quand je lui ai donné les preuves, il a rétorqué que c’était de l’exagération, que je voyais le verre à moitié vide au lieu de le voir à moitié plein…
Tout le monde déforme la réalité. Certains pensent que les scientifiques sont au-delà de ce vice car leur méthodologie les place à l’abri des imperfections qui sont le lot des humains. Et c’est toujours la première réplique que l’on me sert -la science est neutre- lorsque je mets en avant la problématique des institutions scientifiques et de leurs théories.
Revenons à Étienne Klein. Il reconnaît d’emblée la difficulté de spéculer sur le temps pour le démystifier. Le temps n’est pas un objet concret qu’on peut casser pour voir ce qui s’y trouve à l’intérieur, puis proclamer : « Nous, scientifiques, on peut se passer de Dieu pour expliquer le fonctionnement du temps. C’est simple comme bonjour ! » Malheureusement, ils sont loin de la coupe aux lèvres. Le temps est une énigme, surtout en ce qui concerne son origine. Car il ne s’agit pas seulement de chercher à répondre à la question de ce qu’est le temps mais d’où il vient. (Peut-être n’existe-t-il même pas, lance-t-il, de façon désinvolte…)
« Vous pensez-bien que je peux m’amuser comme ça longtemps, plaisante-t-il, mi-figue mi-raisin. Je pourrais faire du Raymond Devos ou du Saint-Augustin. » Les références ! Mais il admet qu’à procéder ainsi, en tâtonnant dans la noirceur en aveugle, « on risque de ne pas s’en sortir. » Et de nous retrouver au seuil de l’absurde : crampes mentales garanties ! (Wittgenstein)
est celui qui s’accordait avec l’idée infantile que le monde avait été créé 5000 avant J.-C. Ça ne pissait pas loin, vous en conviendrez. On se demande pourquoi Klein nous ressort cette bouffonnerie ? 5000 avant le Christ ! Peut-être pour mieux mettre en valeur le chemin parcouru ? Il est certain que s’il part d’une tradition et de philosophes qui nous assuraient que le monde est né il y a 5000 ans ou qu’il est sorti du néant, nous ne pouvons que nous extasier devant le progrès accompli depuis.
Dans le même esprit, mi-figue mi-raisin, Klein continue ainsi : « Mais vous pourriez dire qu’il existe peut-être des mythes qui répondent à cette question de l’origine du temps. » Oui et non. Par exemple : « Que disent les mythes ? Au début, il existait un monde originel… » Voyez, dès le départ, nous achoppons. « Donc, reprend-il, le début ce n’est pas vraiment le début, puisqu’il y avait déjà un monde originel… D’où vient-il ? » Autrefois, tout le monde le savait -de Dieu ! Mais bon… Le but des sciences modernes c’est de montrer qu’on peut se passer de Dieu et vivre comme des gens responsables et en contrôle. Le but des sciences modernes est de dompter les lois de la nature.
La posture scientifique la plus manifeste dans nos sociétés matérialistes promulgue sans complexe qu’avec de bonnes équations mathématiques nous arriverons à développer les outils pour construire et déconstruire la matière à notre guise. Nous serons enfin les Maîtres de tout ce qui nous entoure et de notre destin. (Catastrophe en perspective, mais l’homme raffole de cet utopisme insensé.)
Klein : « Tous les mythes, selon Dumézil, ont cette propriété de mettre un monde dans lequel il y a de la durée … mais où il n’y a pas de temps. C’est vrai pour les mythes grecs ; c’est vrai pour les mythes indiens… » Ah, les mythes indiens ! Là, j’ai tendu l’oreille. Ils sont rares ceux qui ajoutent l’Inde à leur raisonnement philosophique, encore moins lui. Des fois, durant leur conférence, et c’était le cas d’Hubert Reeves, puisqu’on parlait de lui, ils mentionnent vaguement les Upanishads, les Védas, les érudits brahmanas, comme si c’était très loin, comme si cela n’avait aucune espèce de signification pour nous et pour le sujet traité. Le moins on en parle et le mieux on se porte, surtout si nous ne sommes pas des connaisseurs. Bref, voyons ce qu’il va nous dire à propos des Hindous.
Précisons pour ceux qui nous lisent que les mythes des anciennes civilisations n’ont pas vocation à combler la curiosité philosophique de l’athée. Loin de là. Ce dernier peut écrire et déchiffrer des formules mathématiques mais il ne peut pas interpréter les mythes dans le sens pour lesquels ils ont été élaborés. Quid le bénéfice. À la rigueur, si on use d’un mythe dénué de spiritualité et de transcendance, surtout si par-dessus le marché il n’est pas question d’un Dieu suprême, tel le mythe grec auquel Étienne Klein se réfère, il y a matière à spéculation sans fin pour un philosophe. (Un philosophe est celui qui pratique la dichotomie entre Dieu et raison.) Et il ne faut pas nous leurrer, un athée ne cherchera qu’à détourner le sens des mythes à son avantage ou à les minimiser d’une façon ou d’une autre. Cela va de soi, n’est-ce pas ? Les athées sont incapables de reproduire un imaginaire collectif et nourrissant à l’instar de ceux créés par les premiers hommes et qui perdurent à travers les âges.
Mais lui aussi, Klein, tout comme le croyant, veut comprendre les origines de l’homme et de la matière. Cependant, lui, à l'opposé, pense que la vie est un accident, qu’elle est le résultat d’une combinaison chimique*. De là l’importance des recherches spatiales pour localiser une forme de vie dans l’Univers. Bien entendu, il ne s’agit pas pour eux de trouver une vie sophistiquée -ne soyons pas crédules- mais des bactéries qui soutiendraient l’idée que la vie est apparue par hasard et que nous sommes, par conséquent, la planète la plus évoluée de l’Univers (mais on ne dit plus comme les religieux et les Grecs que la Terre en est le centre). Dans cette optique, seule l’eau peut générer la vie. Vous comprenez pourquoi Mars suscite tant d’espoir…
Dans les bons mythes, le processus créatif du monde et de la vie n’est pas aussi banal et frustre : Dieux ou les êtres supérieurs peuvent engendrer la vie à partir de leur mental, entre autres, et non uniquement par le sexe. C’est tellement plus raisonnable, même si extraordinaire, que de croire en une vie, comme les penseurs du Moyen Âge se l’imaginaient, sortant spontanément d’un tas d’ordure. Par la suite, les scientifiques ont transposé ces sornettes à un niveau astronomique et ont appelé soupe cosmique primordiale cette substance d’où aurait surgi l’Univers. Surgi est un euphémisme pour dire explosion : le Big-Bang ! C’est ce qu’ils appellent la Science !
Le mythe et la confusion sur l’avant Big Bang
Puis il nous dit « Seule une confusion qu’on trouve dans ces mythes, entre temps et devenir permet d’imaginer qu’un monde stagnant, ce que l’on peut appeler un monde d’avant le temps, a pu précéder le temps, celui-ci n’advenant que dans un second temps pour initier une véritable trame historique. »
Le mythe ne dit pas une telle chose, que le monde au-delà de celui-ci est stagnant, en tout cas pas le védique. C’est lui qui imagine cet état en généralisant. Si le temps existe ici, c’est qu’il vient de quelque part. Lui ne sait pas d’où mais le mythe l’explique. (Je dis mythe, mais c’est pour faciliter l’explication, sinon on n’avancerait pas.) La science n’a jamais pu démontrer que la vie, le temps ou le mouvement s’expliquaient par une cause originelle qui serait matérielle. Elle a bien tout essayé, obstinément ; les scientifiques ont travaillé très dur pour le prouver mais ils n’ont jamais réussi à produire quoi que ce soit de vivant, même pas un épi de blé. Que dalle !
Et ils dilapident des milliards pour nous dire qu’il ne faut pas abandonner la recherche, qu’elle est essentielle à la science. Un jour, jurent-ils, nous y arriverons. Pendant ce temps-là des milliards de malheureux vivent à travers le monde dans des conditions innommables et meurent chaque jour de maladie et de faim. Ce ne sont pas que des paroles et des lettres que vous lisez-là, ce n’est pas une abstraction scientifique ou philosophique : des nécessiteux par millions souffrent et meurent et pendant ce temps-là les scientifiques réclament des milliards pour financer la recherche afin de créer un hypothétique grain de riz ou d’aller prendre des photos de Mars pour qu’un jour des hommes s’y promènent éventuellement et plantent un drapeau !
La clé du jugement, selon notre philosophe, c’est le mot confusion : « Seule une confusion qu’on trouve dans ces mythes... » Il y aurait donc confusion. Lui ne sait pas, avoue-t-il, mais c’est l’autre qui est confus. Krishna dit que le temps c’est la mort. Toute chose qui est en mouvement finit par décliner et mourir. C’est la conséquence du temps. Le temps produit du mouvement et la mort. Mais continuons, nous aurons amplement l’occasion d’y revenir : « Donc je pourrais vous raconter, mais cela prendrait un peu de temps, le mythe de Gaia, avec Kronos, Ouranos, le mythe grecque qui met en scène exactement ce genre de situation : il y a d’abord un monde où il n’y a pas de temps, il y a simplement le ciel et la terre. Pas d’espace entre eux… »
Patientez, le bluff s’en vient. Après nous avoir tout de même narré -alors qu’il ne voulait pas accorder de temps à ces fantasmes primaires- ce mythe sordide et prosaïque comme ça ne se peut pas, il balance : « Je pourrais vous raconter des choses analogues à propos des récits indiens. »
Le bluff c’est de laisser croire à son audience -et d’un, qu’il connaît les mythes indiens, sur le temps, -et de deux, qu’ils sont exactement du même ordre. D’ailleurs, chez ce monde-là, il y a une philosophie scientifique, disons-le comme ça, qui ne veut pas discriminer entre civilisations ou entre cultures : toutes se valent. Il n’y a pas de hiérarchie. On ne peut même pas dire qu’un chien est supérieur à un cochon ou à un moustique. Donc, la civilisation grecque et la civilisation védique, c’est kif kif ; la culture grecque ou la culture védique, c’est du pareil au même. Et ce sont des scientifiques qui nous pondent ce raisonnement ! Par exemple, il n’y a pas de différence fondamentale entre manger chez les Grecs et manger chez les anciens hindous, cela dépend simplement de la géographie. On peut dire que vivre dans le désert ou vivre sous les cocotiers, cela ne change en rien au bien-être des individus ou à leur mentalité. Tout le monde il est égal. Les femmes sont égales aux hommes. Être une femme ou être un homme c’est pareil, c’est interchangeable. Tout cela en théorie, bien sûr, dans la réalité les choses ne fonctionnent pas ainsi. Vous le savez bien. Car si vous demandez à Klein s’il préférerait renaître dans sa prochaine vie dans un corps de moustique avec une durée de vie de quelques jours ou dans celui d’un chien, lequel pensez-vous qu’il choisirait ?
Étant une manifestation de Vishnou, le temps n’a ni commencement ni fin. Dans la Bhagavad-gita, Krishna manifeste sa forme universelle en tant que le Kala et en tant que la mort. Kala est la correspondance en sanskrit pour le mot temps. Celui-ci règne en maître absolu sur le monde mortel, aussi qualifié de temporel. Le vieillissement, la maladie, la faim, le désir, la souffrance et la destruction sont des symptômes de mort. Tel un serpent infini dévorant sa propre queue, le temps cannibalise au moment voulu tous les objets et les êtres qui constituent sa nourriture. La mort est l’autre nom du temps.
C’est ce qu’explique Krishna à Arjuna parce que celui-ci est découragé par le combat à venir et dans lequel sont engagés, dans le camp adverse, les membres chéris de sa grande famille. Et, après lui avoir révélé cette unique et fantastique Forme universelle, Krishna d’enchaîner pour le secouer de la torpeur soudaine dans laquelle il était tombé : « Allez, lève-toi et va combattre. Tu sais maintenant qu’ils sont déjà morts par mon arrangement divin. Toi, Arjuna, dans cette bataille tu n’es qu’un instrument entre mes mains pour accomplir ma volonté.
Bis repetita
« Cyclique » ne signifie pas revenir à la même réalité, ainsi que l’enseigne Étienne Klein, et ne correspond pas à -une- seule dimension, genre une ligne droite. Le monde n’est pas statique ni linéaire. Il est plutôt à l’image des saisons qui reviennent année après année. C’est structurellement que la vie se répète, pas dans le détail, bien que le karma nous suivre comme une ombre.
Notre physicien et philosophe brosse une fausse représentation du cycle du temps. Puisque son fond de culture est grec, la compréhension du temps cyclique qu’il critique est basée sur une conception platonicienne ou Nietzschéenne, l’éternel recommencement. Ça passe bien quand l’audience est ignorante de la notion de samsara ou de la Roue du temps, le chakra, mais c’est vraiment n’importe quoi d’enseigner que les Hindous croyaient que réincarnation ou le recommencement d’un cycle signifient revivre ce que l’on a déjà vécu, exactement... Même Nietzsche n'y croyait pas, sinon pour faire du style.
Qu’il y ait des gens qui puissent penser que les Upanishads préconisaient ces enfantillages, ça craint mais pas à peu près ! Par ce genre de pédagogie on cerne ce qu’est la méthode des penseurs occidentaux : dans leur embarras et leur confusion tous nimbés de complexe de supériorité, ils démontrent dans la plus grande candeur la justesse de leurs thèses en s’attaquant à des doctrines faiblardes et en avançant des idées farfelues. Pour soutenir par exemple leurs théories athées, ils s’en prennent à un Dieu vieux et barbu comme représenté sur les vitraux des églises ; quand ils veulent défendre leurs recherches sur le temps (qui ne donnent rien), ils prennent le mythe grec et en font des gorges chaudes. Mais jamais ils ne parleront de Krishna ou du Mahabharata, comme si Dieu ou le temps dans la civilisation védique n’avaient aucune valeur, comme s’il était préférable de ne plus jamais s’en souvenir.
Violence et haine comme repère
Au début du mythe, surgi du vide, le chaos, il y a deux dieux (deux monstres, je dirais plutôt) : Gaia, la Terre, le plancher du monde, et Ouranos, le ciel. Ils vivent collés l’un sur l’autre, « pas d’espace entre eux » précise Klein, et ils copulent sans relâche parce qu’ils n’ont pas d’autre engagement. Et le temps n'existe pas encore...
Rendez-vous compte d’une histoire, c’est tout un poème ! Avec la Bible, ce genre inachevé et taillé à la hache forme la trame de la pensée occidentale. Tapi au fond des mémoires, ce mythe de la création, qui suppose recèler un trésor de la pensée, a été transmis comme un paradigme psychologique par de grands maîtres revendiquant cet héritage sanglant et dominateur, bien que fantasque ad nauseum. Étienne Klein est athée, mais ce récit le taraude à son corps défendant au point d'être la seule explication qu’il puisse sortir de sa manche pour faire entendre raison, par la négation. C’est le serpent qui se mord la queue.
En fait, Ouranos est l’enfant de Gaïa (bonjour l’inceste !). Tout comme l’est Pantos, l’océan ou les eaux. Advient alors le premier drame de l’histoire : Gaïa ne supporte plus d’être toujours enceinte par ce rustre d’Ouranos qui lui colle à la peau, tel le ciel qui recouvre la Terre. Elle est en colère aussi parce qu’en plus de cette promiscuité loufoque, sa progéniture ne sort pas, elle grouille dans son ventre ; ce sont les Titans. Elle étouffe.
Je serais gêné de les avoir pour ancêtres ceux-là, par exemple... Et c’est de là que sont soi-disant issues les sciences et la philosophie ! Fermer la parenthèse.
Mais les enfants de Gaïa ne veulent pas l’aider. Ils sont terrorisés par ce géant qui est leur père et qui recouvre entièrement le corps de leur mère. Elle demande alors à son plus jeune fils, Cronos, qui n’a pas froid aux yeux (tel David contre Goliath plus tard), d’aller couper les organes génitaux de son père. Cronos prend une faucille et passe à l’acte. (C’est ce même Cronos qui, plus tard, mangera ses propres enfants et sera aussi tyrannique que le père…) La douleur est si intense qu’Ouranos fait un bond en arrière et c’est cette distance entre lui et Gaïa qui constituera l’espace.
Il faut bien commencer quelque part quand on est dans un brouillard aussi épais que de la mélasse. De là l’idée de la philosophie et des sciences positives : sortir de l'ignorance héréditaire qui a été le lot de la civilisation européenne, par tous les moyens.
C’est aussi simplet que de nous dire que le singe s’est redressé sur ses pattes et, ce faisant, il est devenu un humain. C’est la sélection naturelle. (Ça me fait toujours sourire, chaque fois que j’y pense... la sélection naturelle.) Appeler ce mauvais conte un mythe, tout en considérant que les mythes se valent tous, c’est manquer de beaucoup de discernement.
Étienne Klein nous dit ensuite que le mythe védique est de la même eau. Donc, il ne va pas perdre son temps à nous le raconter. C’est pas du bluff, ça ? Au lieu de cela, il nous rappelle une histoire ridicule à nous faire dresser les poils du corps tellement elle est diabolique. Il le reconnaît d’ailleurs, fort heureusement. Mais il n’a pas pu s’empêcher de nous narrer quelques détails, comme s’il y avait vraiment quelque chose à en tirer d’instructif, sinon pour nous dire que c’est ainsi que la plus grande civilisation au monde, la Grèce, d’où sont nés la philosophie, la logique et la raison, comprenait l’origine du temps...
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