Les grands enjeux de société et les idées qui en font la trame, avec humour, passion et gravité.
17 Novembre 2014
Quand démocratie rime avec "pacification"...*
Ou quand la démocratie lave plus blanc que blanc, sachant que l'écriture et la lecture ont toujours été des moyens efficaces de domination, sous prétexte d'éduquer les peuples.
Les systèmes totalitaires le savent bien; ils offrent gratuitement et massivement de combattre l'analphabétisme par la propagande écrite. Ils mettent alors en place une méthode d'éducation qui permet de laver le cerveau de tous les savoirs "païens", comme on disait il n'y a pas longtemps encore. Et, à partir de ce tabula rasa, de bourrer les têtes de nouvelles idées plus appropriées au conditionnement des peuples. C'est la lecture de l’avant-propos de ce livre qui m'a inspiré cette réflexion.
Voici, dans la même veine, ce qu’on y lit encore dans ce livre. L'exemple est tiré d’un entretien avec Jack Goody, un anthropologue qui a enseigné dans le monde entier (né en 1919 et toujours en vie au moment où j'écris ces lignes) : « Et sous l’effet de l’écriture, dit-il, les changements sont très rapides. Les enfants des sociétés villageoises africaines qui sont allés à l’école ont une rationalité en tout point semblable à la ‘nôtre’. Ce n’est pas une question de mentalité. »
Mon Dieu, sommes-nous brillants à ce point pour être si fiers de cet impérialisme sur les esprits ?! C’est Al Gore qui écrivait pour la réédition du Printemps silencieux** de Rachel Carson, et cela malgré que la majorité des blancs en Amérique savaient lire : « On pouvait mettre un terme à l’esclavage en quelques années, et on le fit –même s’il fallut un autre siècle pour commencer à s’occuper de ses séquelles. Mais si l’esclavage pouvait être aboli d’un trait de plume, ce n’était pas le cas de la pollution chimique. En dépit de la force de l’argumentation de Rachel Carson, en dépit d’actions comme l’interdiction de DDT aux États-Unis, la crise environnementale s’est aggravée ; elle ne s’est pas résorbée. »
Quelques autres exemples sous la plume de Jack. Goody : « Avec l’écriture, la pensée devient beaucoup plus avancée que dans les sociétés sans écritures. » Le problème avec cette affirmation, c’est que ce livre-ci, L'écriture depuis 5000, ne permet pas d’en juger : nulle part il est mention de la culture védique ! Comme si les Hindous n’avaient rien écrit, comme s’il n’existait pas en Inde une tradition vieille comme le monde dont la savoir était basé sur les Védas, une somme prodigieuse de connaissances pointues transmises de maître à disciple depuis la nuit des temps. Les auteurs de cet ouvrage ont préféré nous laisser l’impression que toutes les sociétés du monde ressemblaient à celles des tribus du Ghana : « Mais il existe encore de nombreuses cultures sans écriture en Afrique. […] Aujourd’hui, conclut-il, notre ambition est que tout le monde sache lire et écrire. Mais c’est une étape nouvelle de l’humanité. »
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la revue « propose un voyage dans cinq mille ans d'écriture. » Je sais par expérience qu'il y a anguille sous roche... J'évite tout de même de parler de conspiration, bien que la langue m’en brûle.
Quand j’ai ouvert ce document, je suis tombé dès les premières pages sur une carte du monde. C'est le seul endroit et la seule fois où l'on parle de l'Inde, succinctement : « Quatre écritures dominent aujourd'hui de façon écrasante : l'alphabet latin, les caractères chinois, les écritures indiennes et leurs dérivés, enfin l'alphabet arabe. »
Après ça, plus rien. Pas un traître mot sur une des plus anciennes civilisations de l’humanité et de son écriture, rien non plus sur les Védas ; rien sur Vyasa, le premier homme à avoir couché sur un médium l’immense savoir oral existant en ces temps-là : n’importe quel individu moindrement cultivé a entendu parler de ce « berceau de la spiritualité ». Bizarrement, dans cette revue d’histoire, sur l’écriture, nada ! Moi, ça me laisse songeur. Mais ce que je ne comprends pas, c'est la raison pour laquelle je suis seul à m'en faire du souci...
Je vous donne un autre exemple, toujours avec Goody, tiré de l’entretien intitulé « L’écriture façonne notre pensée ». J’espère qu’il vous interpellera. On lui pose la question : « Peut-on concevoir une histoire, une philosophie, une science sans l’écriture ? » Remarquez l’aspect ambigu de la question; elle aurait dû faire la distinction entre aujourd’hui et autrefois, dans antiquité, si, évidemment, il y a une différence à prendre en compte, ce dont on ne souffle mot ici. Il semble que pour eux, celui qui questionne et celui qui répond, il n’y en ait pas. Voici une partie de sa réponse : « Le passé, sans l’écrit, s’évanouit. La mémoire ce n’est pas de l’histoire. » Et c’est là que gît le lièvre. Ma thèse veut que la mémoire au cours des âges ait radicalement diminuée. Prenez les pyramides ; les Égyptiens les ont construites alors qu’ils ne faisaient encore aucun usage de l’écriture. Et on n’a jamais retrouvé le moindre document à leurs sujets.
Et Goody de continuer ainsi : « On ne peut pas dire non plus que les peuples sans écriture n’aient pas de pensée philosophique, mais c’est forcément une philosophie embryonnaire. » De quels peuples s’agit-il ? Ceux d’aujourd’hui ou ceux d’autrefois, des peuples tribaux ou des peuples appartenant à des civilisations antiques, comme la civilisation védique dont on est assez bien documenté sur leurs mœurs ? Non, les historiens ou les anthropologues (j’ai en tête Claude-Lévi Strauss) optent plutôt pour les tribus sauvages et primitives, parce que dans leurs préjugés, ils sont les prototypes de l’humanité puisque, selon eux, on vient tous du singe et du poisson. Goody : « Par exemple, le mythe du Bagré, que j’ai enregistré au nord du Ghana, chez les LoDagaa, pose la question du mal et des origines de l’humanité.
Pourtant, le Mahabharata, qui a été écrit il y a 5000 ans, mais qui se transmettait auparavant par l’oral, traite magistralement du bien et du mal relatifs au début de l’humanité… En fait, tout le Mahabharata, le plus long livre de l’antiquité et le plus ancien, tourne du début à la fin autour de ce nœud gordien. « On n’a pas besoin, déclare Goody, des théories élaborées par les Grecs ou les taoïstes pour accéder à ces notions fondamentales. » Comme quoi, tout se vaut ; par conséquent nul besoin de comparer avec les notions hindoues. Car dans l’esprit de ce professeur d'anthropologie, de ce que je lis là, chez les Égyptiens, Grecs, Hindous ou Ghanéens, il n’y a guère de distinction fondamentale « entre les éléments (le feu et l’air, le sang et l’eau) pour analyser la réalité. »
C’est ainsi, écrit-il que « la science, dans sa forme abstraite, naît avec l’écriture. » |
Je voudrais alors faire observer que les Hindous faisaient une distinction capitale entre le lait de la vache et son sang. Mieux : ils considéraient que la bouse de vache était aussi sacrée que la vache elle-même et qu'elle était un antiseptique. Ce faisant, ils l'utilisaient pour nettoyer le sol ou les ustensiles de cuisine alors même que tout autre excrément était intouchable, comme le sang d’ailleurs. Mais comment avaient-ils ces connaissances alors que la science découvre seulement depuis ces dernières années la vérité de cette singularité extraordinaire ?
Examinons encore un autre préjugé ; c’est ainsi qu’il dit que « la science, dans sa forme abstraite, naît avec l’écriture. » On a déjà donné l’exemple des pyramides ; elles demeurent encore actuellement des énigmes totales quant à leur construction et leur utilité ; et il y a celui de l’Inde védique qui prouve que ses habitants, tels que décrits dans le Mahabharata, avaient une grande maîtrise du yoga (qui n’a pas grand-chose à voir avec ce que nous pratiquons de nos jours), de la médecine et des armes de guerre hautement sophistiquées qui s’apparentent à nos armes nucléaires, sans parler des vaisseaux spatiaux. On comprend alors pourquoi dans cette revue il n’est pas mention de cette civilisation.
« Mais la mémoire des hommes est limitée. » Celle des hommes contemporains, aurait-il dû préciser, car, dans le passé, la capacité de mémorisation était prodigieuse, c’était une science à part entière, ce qui permettait d’enseigner et de débattre à partir de connaissances incommensurables. C’est seulement quand la mémoire des hommes a commencé à péricliter que Vyasa entreprit de mettre par écrit les Écritures. Dixit le Bhagavad Purana. Mais comme il a été originellement transmis de bouche à oreille, c’est-à-dire par la parole, et qu’ensuite il a été transcrit sur des feuilles de palmier, ce n’est pas de l’écriture... : « Il est vrai, ajoute Goody, que certaines sociétés ont mis au point des systèmes graphiques qui offrent des moyens mnémoniques. Mais ces signes gravés sur l’écorce, la pierre ou le bois ne sont pas une écriture. » ?!?
Et pour finir :
Ce que j’en conclus à la lecture de cette interview, c’est que Jack Goody, bien qu’il soit un anthropologue réputé, étrangement, ne connaissait pas beaucoup la culture védique* dont le son et les mantras faisaient office de paramètres scientifiques et permettaient le succès des gigantesques sacrifices qu’ils menaient régulièrement, sinon il n’aurait jamais prononcé cette bourde : « Cela m’amène à contredire une idée reçue : le mythe dans les sociétés orales n’est pas fixe. Il serait impossible de se rappeler exactement ce que l’on a entendu dans une cérémonie, il faut inventer pour remplir les trous. On peut garder des choses courtes en mémoire, mais pas de longs textes. »…
* Dans une vidéo, je l’ai entendu dire, au sujet du passage de l’oral à l’écriture chez Homère, que : « J’ai le même problème, il faut le dire, avec le Rig-Véda. » En d’autres mots, il ne sait pas.
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Où il conclut le passage ci-dessous ainsi : « Et l’on continue de raconter de telles fables.»
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Le bouddhisme caché dans le Mahabharata